Traiter de thèmes difficiles et complexes comme le féminicide (vu par ses auteurs plutôt que par ses (beaucoup trop) nombreuses victimes...), la maltraitance et la toxicité féminine, le désespoir des jeunes hommes en difficulté (ici des pupilles de la nation) et la prostitution masculine, a toujours été tout simplement suicidaire tant le non débat publique est monopolisé par les extrêmes qui ne prouvent pas franchement leur intelligence ou leur bienveillance au quotidien.
Pourtant c'est ce que fait ce film dès 1948. Car c'est un film social et politique qui alerte le public sur un problème grave de l'époque, sans porter de jugement moralisateur et sans "angélisme" non plus: l'exploitation des pupilles de la nation, de l'Assistance publique, par des individus peu scrupuleux et les conséquences des traumatismes subits.
Le synopsis est très simple: Un soir de pluie battante, dans une petite ville de la Manche, un jeune homme, Pierre, arrive de Paris pour séjourner quelques jours dans un hôtel miteux prétendant devoir se reposer à cause de problèmes de nerfs.
A partir de là, un huis clos s'installe entre:
- Le jeune homme, Pierre, rongé par le remord et la peur, mais aussi (spoil) comme on le découvrira plus tard dans le film, par ses traumatismes de l'Assistance publique.
- Marthe, une jeune femme, elle aussi de l'Assistance publique.
- Madame Mathieu, la patronne cynique de l'hôtel.
- Un autre jeune homme de l'Assistance publique, lui aussi, exploité et occasionnellement battu par Madame Mathieu.
- Madame Curlier, une femme d'industriel qui détourne le jeune homme de l'Assistance publique.
- Et enfin, Fred, héroïnomane et ancien amant, avec Pierre, de la cantatrice.
- La cantatrice, personnage absent (pour une raison que l'on découvre dans le film) est pourtant belle et bien présente tout le long, au côté de Pierre et des autres, usant peu à peu la santé mentale déjà vacillante de Pierre.
Les autres personnages, bien que moins mis en avant dans l'intrigue, apportent de l'épaisseur à la narration. Ils rendent l'histoire d'Une si jolie petite plage, plus crédible et vivante. Ainsi l'on a un voyageur de commerce qui se plaint de ne pas pouvoir participer à l'anniversaire de son jeune fils. Un vieillard sénile, un chauffeur de taxi...
La pluie omniprésente et le disque de la cantatrice, qui reviennent en boucle, contribuent à accentuer l'impression d'enfermement de Pierre qui sombre petit à petit dans la paranoïa.
Il trouvera cependant un peu de paix auprès de Marthe, les deux tomberont amoureux d'un amour impossible, mais aussi en tentant de sauver le jeune homme de l'Assistance publique d'une vie semblable à la sienne, et du chauffeur de taxi avec qui il deviendra bon camarade.
Cependant, Fred, Madame Curlier et Madame Mathieu, pousseront quant à eux, pour diverses raisons, Pierre dans la dépression.
Sans être très originale, j'ai vraiment aimé l'écriture et la diversité des personnages féminins, elles sont montrées dominatrices (la bourgeoise - Madame Curlier- et la cantatrice détournent toutes les deux les jeunes hommes mineurs de l'Assistance), cyniques (la patronne de l'hôtel -Madame Mathieu- se réjouit ouvertement de l'arrivée des malades venus se faire soigner dans la région, ce qui est bon pour ses affaires...), mais aussi tendres, courageuses et désintéressées (Marthe, qui tombera amoureuse de Pierre et fera tout son possible pour le sauver).
Si Une si jolie petite plage n'est pas un grand film, que l'écriture des personnages n'est pas franchement novatrice et que l'on devine très rapidement les tenants et aboutissants de leur histoire, il reste que c'est un film noir très bien réalisé à l'ambiance parfaitement maîtrisée, le malaise que ressent Pierre tout le long est palpable et parfaitement transmis au spectateur, malaise qui est toutefois ponctué de moment de sérénité et de mélancolie quand Pierre passe du temps avec Marthe dans la cabane ou quand il tente de sympathiser avec le jeune homme sur la plage. L'immoralité de Fred, véritable prédateur, elle aussi, est parfaitement rendue. La rudesse rugueuse des autres personnages accentue encore le sentiment de détresse, l'atmosphère d'anxiété, d'insécurité sociale, qui se développe et s'étoffe tout le long du film. La culpabilité que porte Pierre, fardeau insupportable (car le fait qu'il ait particulièrement souffert ne le dédouane aucunement et c'est aussi bien montré dans le film que le reste) me fait penser à certaine fable d'Edgard Allan Poe où le protagoniste tombe lui aussi dans le dégout insupportable de lui même et de la vie.