Mostra de Venise 2016 : Prix FIPRESCI (fédération internationale de la presse cinématographique)
UNE VIE (14,1) (Stéphane Brizé, FRA, 2016, 118min) :
Ce mélodrame délicat raconte le destin tragique de Jeanne Le Perthuis des Vauds, une jeune femme aristocrate vivant chez ses parents, petits châtelains de Normandie au début du XIXe siècle, dont la vie va basculer en devenant la future épouse du vicomte Julien de Lamare. Le réalisateur Stéphane Brizé connu pour ses longs métrages touchants, notamment Mademoiselle Chambon (2009) et Quelques heures de printemps (2012) et encore auréolé du succès de La Loi du marché en 2015 (qui a valu à Vincent Lindon la récompense du meilleur acteur au Festival de Cannes et aux César) revient aujourd’hui sur nos écrans avec Une Vie. L’auteur s’appuie sur le premier roman de Guy de Maupassant publié sous la forme de feuilleton en 1883 dans le « Gil Blass », pour en faire une adaptation personnelle mais très fidèle à l’esprit du récit dont il avait en tête avant même de tourner son premier long métrage. La scène d’ouverture bucolique dépeint d’entrée de jeu le contexte psychologique de l’héroïne protégée et supervisée par son père bienveillant lors d’une séance de plantation et d’arrosage de salade. On devine tout de suite l’innocence et la candeur de la jeune femme et sa relation de l’Homme à la nature sous un ciel lumineux. D’emblée le format inhabituel de l’image surprend, le metteur en scène utilise en effet l’espace 1:33 pour mieux nous conter ce que nous comprendrons au fur et à mesure de l’histoire, un enfermement de Jeanne dans ses illusions. Ce cadrage particulier souligne avec intelligence le propre champ de vision de l’héroïne autour d’elle avec une faible profondeur de champ. La mise en scène régulièrement en plans fixes, caméra à l’épaule laisse malgré une abondance de plans serrés la jeune femme vibrer et s’accrocher aux pulsations de vie malgré le drame. Ce dispositif, accompagnée d’une image en numérique apporte une touche de modernité à l’œuvre assez bienvenue. La narration confirme cet aspect revigorant en multipliant les allers retours temporels, en mélangeant même les deux par des flashback et des flashforward dynamisant ainsi le récit. Car il convient de prévenir le récit est lent et long, Stéphane Brizé aime laisser sa caméra tournée et certaines ressemblent à la vie avec ces moments d’ennui, et avec des scènes de la vie quotidienne décrite de façons parfois un peu trop répétées. Le récit offre également peu de dialogues, 80 phrases à en croire le réalisateur lui-même et le son mono prend alors une importance primordiale, on entend avec poésie le reste du temps le son de la pluie et du vent. De magnifiques scènes décrivant le présent de la jeune femme littéralement chavirée mais de boue, quand un flashback de son enfance et adolescence apparaît au contraire plus lumineux avec des couleurs chatoyantes remplaçant les nuances de gris. Ce naturalisme confère au passage des saisons un écrin magnifique aux tourments. Le metteur en scène utilise abondamment ses ellipses temporelles en prenant le parti pris déroutant de relater des évènements cruciaux (mariage, décès, séparation) en juste quelques plans et préfèrent tourner dans leur langueur des scènes moins essentielles à l’intrigue mais éminemment pertinente quant à l’aspect psychologique de la jeune femme. Une héroïne jetée dans les bras d’un homme abjecte, violent et infidèle avec sous-jacent des tractations financières avec ses parents que ce dernier dilapidera à son bon plaisir. Dès la nuit de noces l’acte d’amour sonne comme une autre claustrophobie et n’est que souffrance pour la nouvelle épouse. Mais Jeanne Le Perthuis ne rompt pas, un vrai roseau pas sauvage gardant toujours cette flamme de survie au fond d’elle ranimée un temps par la naissance de son fils. Celui-ci devient un ersatz de son père, abandonne sa mère en partant à Londres puis accumule des dettes qu’il lui demande de rembourser tout en la privant de sa présence jusqu’au dernier plan bouleversant, où le vent devient caresse sur la joue et le soleil illuminant une autre vie dans les bras de Jeanne, donnant un nouveau sens à sa vie avec l’enfance comme horizon. La dernière phrase du film prononcé par la femme de maison à sa maîtresse accentue notre émotion : « Vous voyez Madame, la vie, ça n'est jamais aussi bon ni aussi mauvais qu'on croit. » clôture la tragédie avec une lueur d’espoir bienfaitrice. On notera le maniérisme dans les aspects costumiers mais une reconstitution minimaliste de l’époque, l’utilisation de la voix off pour lire tes correspondances ou des poèmes, une magnifique photographie et une musique classique de bon aloi venant juste suggérer les émois. La cohérence formelle et le fond de l’intrigue serve le jeu de la révélation du film Judith Chemla, actrice de théâtre qui irradie le film de sa stature frêle, de par son visage multiformes au regard profond et par une force qui en font la plus belle héroïne littéraire de l’année cinématographique. Le reste du casting reste convaincant notamment avec l’impeccable Jean Pierre Darroussin dans le rôle du père et Yolande Moreau dans le rôle de la mère, parents qui n’auront pas su préparer leur fille à la vie d’adulte. Cette adaptation confère au passé un esprit dans l’ère du temps qui convoque aussi bien le personnage d’Emma Bovary de Flaubert (le romantisme lyrique en moins) que les œuvres Les Hauts de Hurlevent (2011) d’Andrea Arnold que le Bright star (2009) de Jane Campion. Venez découvrir le paradis perdu des illusions enfantines parcourant Une vie. Poétique, exigeant, émouvant et digne.