Le Festival de Cannes 2019 vient de vivre son premier choc avec Une vie cachée de Terrence Malick, présenté en compétition officielle. Le cinéaste américain est à son meilleur et arrive à trouver le parfait équilibre entre la narration de ses premiers films et ses expérimentations visuelles actuelles. Incroyable.


Une vie cachée est une mélodie, une symphonie céleste, un astre d’une autre galaxie venu nous émerveiller de toute son humanité. Terrence Malick a bien caché son jeu : après son dernier triptyque – A la Merveille, Knight of Cups et Song to Song – qui s’appesantissait autour de l’abstraction des sentiments et de la dérégulation d’un certain consumérisme de nos existences, le réalisateur revient à ses premiers amours autour d’un scénario dont la ligne parait plus limpide et plus claire: un fermier autrichien (Franz) décide de ne pas faire allégeance à Hitler, ce qui à l’époque, était passible de la peine capitale. Autour de cette prise de position, Terrence Malick adopte un parfait point d’accroche à son sujet : pour ce faire, il s’insère sur le terrain humaniste et non idéologique comme à son habitude d’ailleurs. Son objectif est d’interroger l’individu quant à son rapport à la globalité et non l’inverse.


Dès le commencent, le personnage est réticent à l’idéologie nazie et montre sa désapprobation à vouloir rentrer dans les rangs : le questionnement sera donc personnel et sacrificiel chez lui. Doit-il prêter allégeance pour que sa famille soit en sécurité et à l’abri des querelles du village dans lequel il habite avec sa femme et ses filles ou doit-il contester jusqu’au bout cette demande pour faire prévaloir le bien par rapport à l’expression du mal et dans le même temps mettre sa famille dans la souffrance et la difficulté ? C’est à partir de cette trame thématique simple, majestueuse mais terriblement existentielle que le cinéaste va créer le miraculeux Une vie cachée, une oeuvre à l’universalité débordante, un récit féerique et fantastique porté par sa mise en scène toujours aussi mouvante et captant avec poésie les moindres faits et gestes du quotidien de ces fermiers et fermières : s’amuser en famille dans les herbes, travailler durement la terre, scruter les nuages frappés par la lueur des montagnes, voir danser les villageois pendant les fêtes communes.


Même si Terrence Malick aime toujours autant divaguer avec sa caméra entre les différents éléments de la Nature, adore toujours autant s’amuser du côté omniscient de l’image, le changement de chef opérateur par rapport aux 5 derniers films (sans compter Voyage of Time) où Emmanuel Lubezki a été remplacé par Jörg Widmer, fut bénéfique à Une vie cachée. Les grands angles sont évidemment nombreux, mais les plans se font parfois humbles, naturalistes et accentuent l’aspect mystique et observateur de la dite Mère Nature. Avec son arrière-fond de Seconde Guerre mondiale, Terrence Malick arrive à dessiner les traits d’un film de guerre mais cette fois-ci, sans les armes et les heurts. C’est la poésie et le délabrement psychologique qui l’emportent. Dans Une vie cachée, on retrouve la douceur mais aussi la dureté de la vie fermière et ouvrière appréciée dans Les Moissons du Ciel, on assiste au même questionnement militaire et existentiel absorbant la culpabilité de l’Homme à vouloir s’écharper sur le terrain de jeu qu’est la nature virginale (La Ligne Rouge).


Tout comme on assiste à des similitudes avec The Tree of Life quant à sa description de la famille et des forces en présence. Comme dit au-dessus, l’Américain revient à un récit beaucoup plus visible pour le commun des mortels et ce qui induit, de manière stricto sensu, une incarnation plus prégnante des personnages (sensationnel August Diehl) et qui permet la naissance de personnages féminins très forts et qui sortent de leur habituelle imagerie innocente et maternelle comme c’était souvent le cas chez Malick. Cette narration, moins évasive donc, s’accordant à vouloir détailler l’humain et ne cherchant donc pas à saisir l’évanescence de son abstraction, passe toujours par le biais des images et reste aussi le récepteur d’une émotion qui s’était étiolée durant ses dernières productions malgré leurs grandes qualités.


A titre d’exemple, Song to Song parait être un film tellement évasif et chimérique que l’émotion ne s’était jamais faite apprivoiser. Là, l’émotion, notamment dans sa dernière partie, amène le film dans des sphères insoupçonnées. Une Vie Cachée est un pur film malickien : dans sa charge visuelle, son virage introspectif, sa musique baroque et biblique, et l’apparition de cette voix off qui ne cesse de remettre sa vision du monde en question mais aussi et surtout, dans cette volonté de trouver des réponses.


Malick est un homme de foi qui ne parle pas qu’aux croyants mais qui arrive à vouloir rentrer en osmose avec tout le monde. Et alors que depuis un certain temps, notamment au niveau de son documentaire Voyage of Time, il parcourait le monde pour savoir où se trouvait la divinité dans la moindre particule de notre univers, le cinéaste continue à se demander cette fois-ci quel est le but réel de nos vies. Pourquoi le destin nous fait prendre telle ou telle décision. Et à défaut d’avoir trouver une réponse définitive qui mettrait tout le monde d’accord, le cinéaste continue ses pérégrinations cosmiques et fait d’Une Vie cachée le miracle cinématographique de ce Festival. Même plus. Beaucoup plus.


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Velvetman
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le 11 déc. 2019

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