« Quand on a abandonné l’espoir d’échapper à la mort, la vie s’illumine »

Terrence Malick n’a rien perdu de ses manies : les gros plans et le grand angle, les travellings avant, les contre-champs, les lumières naturelles, la contemplation de la création, le souci du détail et de l’authenticité, la voix-off, mais celle-ci s’est faite moins interrogative et obscure. Malick tient un scénario : il nous conte l’histoire de Franz Jägerstätter, un paysan de la Haute-Autriche. Son panthéisme lumineux cède la place à un catholicisme plus affirmé. Franz a été béatifié en 2007.
Jägerstätter est appelé sous les drapeaux en 1940, puis, après la victoire sur la France, est renvoyé dans sa montagne. Ces quelques semaines d’endoctrinement lui ont ouvert les yeux. Il ne servira pas Hitler. Cette conviction irrite, puis insupporte son entourage. Le prêtre, l’évêque, les voisins, le maire, tous se liguent contre lui. Servir son pays et protéger sa famille sont des devoirs d’état. Si les aumôniers sont interdits dans la SS, ils bénissent les troupes régulières.


L’argumentation est imparable : il met en danger ses proches et son sacrifice passera inaperçu. Personne n’en saura rien. De fait, il est guillotiné en 1943 et oublié, jusqu’en 1971 et un documentaire d’Axel Corti. L’église autrichienne est partagée, le mettre en avant ne risque-t-il pas de mettre en cause l’attitude de ses camarades, qui tous ont servi sur le front ? Pour autant, Franz ne juge personne et n’appelle pas à le suivre. Il a l’intime conviction qu’il ne peut servir Hitler et Jésus. Il en tire, pour lui seul, les conséquences. Seule sa femme soutiendra, sans réserve, son choix final. Sa famille survivra à la guerre, Franziska est décédée en 2013. Franz n’est pas un prisonnier politique, torturé par les SS, mais un déserteur jugé par l’armée allemande. Ébranlé, son juge, magnifiquement joué par Bruno Ganz, se suicidera peu de temps après.


Malick a tourné sur les lieux mêmes de la vie de Franz, dans sa chambre, sa maison, ses champs, la salle de son jugement. Les costumes, les outils, les uniformes sont d’époque. Les gestes sont justes, ils rappellent que la vie des paysans était physiquement dure, manier la herse ou la faux brise le corps. La lumière naturelle évoque la peinture du XIXe siècle, L’Angelus, La Semeuse ou les Glaneuses de Jean-François Millet, les vaches de Rosa Bonheur, ou plus ancienne et religieuse, La Madeleine à la veilleuse de Georges de La Tour.


Seule entorse à la quête de véracité, les personnages s’expriment en anglais, ne conservant l’allemand que pour Hitler et ses sbires. Les puristes crieront à la trahison, les réalistes déploreront une concession au marché américain, les idéalistes souligneront l’universalité de l’histoire de cette objection de conscience.


Le film est transcendé par la performance du couple joué par August Diehl et Valerie Pachner, unis dans la joie, le travail et l’épreuve. Magnifique.

Step de Boisse

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