Il est assez tentant de résumer le film à son principal tour de force, à son artifice central tellement improbable qu'il en devient possible et probant. Ginger Rogers, la trentaine passée en 1942, se fait passer pour (une femme de 25 ans qui se fait passer pour) une gamine de 12 ans pendant quasiment toute la durée du film. Contre toute vraisemblance, évidemment, ni nous ni les contrôleurs du train n'étant dupes. Mais on finit par l'oublier. Quand le talent est là, plus c'est gros, plus ça passe. Clap clap.
Les prémices sont un peu faibles et peuvent faire craindre le pire pour le reste du film : pour ne pas payer le plein tarif de son billet retour, Ginger Rogers (aka Susan Applegate, ou Su Su pour les intimes) se déguise en fillette à l'aide de trois bouts de ficelle (un ballon, un chapeau, et une voix de petite fille). Tout le film tourne autour de cela, dans une suite ininterrompue de péripéties qui l’emmèneront toujours plus loin dans le mensonge. Le sous-titre anglais du film résume le principe : "is she a kid... or is she kidding?" En atterrissant dans la cabine du major Philip Kirby (Ray Milland, un peu moins "charismatique" que dans "Le Poison ", avec les airs d'un James Stewart du pauvre), elle se retrouve pris à son propre piège et se voit propulsée dans une caserne remplie de petits mâles libidineux avant l'heure. Ou, plus précisément, des petits mâles très entreprenants pour leur très jeune âge. Mais c'est dans la différence d'âge entre Su Su et le major Kirby que le film trouve son équilibre et ses ressorts comiques les plus efficaces : elle dans sa manipulation, lui dans sa naïveté confondante et son aveuglement. L'objet d'une série de sous-entendus fortement licencieux qui échappa, semble-t-il, à la censure...
Au-delà de l'aspect purement comique des différents imbroglios et quiproquos, au-delà du plaisir apparent de Rogers à jouer la jeune fille espiègle et absolument pas crédible, il y a bien sûr le côté parfaitement amoral propre au regard du spectateur (et non des personnages, sincèrement ignorants) dans la possibilité que le respectable Philip Kirby tombe amoureux d'une gamine censée avoir douze ans... On n'est pas aussi mal à l'aise que chez Alejandro Jodorowsky (une scène de "Poesía Sin Fin" impliquant une naine, disons, surprenante), Billy Wilder ne jouant pas du tout sur ce tableau-là, mais il prend le temps de tisser lentement une toile questionnant la vertu à la marge. Et toute cette pantomime trouve son sens dans les derniers instants, quand Ginger Roger se transforme successivement en sa propre mère… puis en elle-même. La libération traverse l'écran.
Hâte de voir un autre film de Wilder traitant du mensonge et du travestissement, il semblerait que ce soit une combinaison gagnante.