Film tourné en 1940 pendant la drôle de guerre et sorti en 1945 !
Il est bon de préciser ces deux dates car elles expliquent en grande partie pourquoi ce film (qui n'est pas un des chefs-d'œuvre de Duvivier) est soit méconnu, soit tout de même sous-estimé.
C'est d'ailleurs amusant d'imaginer le public d'un pays vainqueur (merci de Gaulle) retourner dans les cinémas après la libération et découvrir sur les écrans un film qui lui crache à la gueule sa mentalité de 1940.
Car en 1939 les Français ne voulaient pas retourner au combat après la boucherie de 1914-1918. La fleur au fusil était passé de mode et cette non motivation à aller se colleter aux "boches" pour une énième revanche transpirait tellement dans la société de l'époque que Julien Duvivier s'en est retrouvé imprégné jusqu'au bout de la péloche.
Que raconte "Untel père et fils" ?
L'histoire sur quatre générations de la famille Froment, laquelle voit ses désirs de vivre en paix contrarié par les trois conflits avec l'Allemagne (la guerre de 1870, la première guerre mondiale et la seconde guerre mondiale).
Si on excepte l'histoire de Pierre Froment (incarné par Louis Jouvet qui joue le père puis le fils aîné, Félix) militaire patriote qui défend Paris assiégé par les Prussiens en 1871, tous les autres personnages vont subir l'Histoire.
Même l'enthousiasme de 1914 n'apparaît pas. Michel (Robert Le Vigan) et Alain Froment (Jean Mercaton), aviateurs, partent à la guerre en se disant qu'au moins ils pourront voler. Non pour mettre la pâtée à l'ennemi. Quant à Robert Léonard (Harry Krimer), il déclare résigné : "Allons-y et qu'on en finisse afin que les générations futures n'aient pas à connaître ça !".
Jules Froment (magnifique Raimu, comme d'habitude) est le seul personnage à accompagner les quatre générations (il est issu de la première déjà adulte et il vieillit au contact des suivantes). Il passe son existence à jouir de la vie (jusqu'à en être ruiné). Sa présence n'est pas là pour désigner les "planqués" ou les "privilégiés" mais plutôt ceux qui ont cru qu'en vivant à fond, qu'en s'étourdissant de fêtes, qu'en étant jovial, ils ne pourraient pas être rattrapés par les catastrophes de la vie. Jules Froment représente davantage un personnage qui croit que si on ne pense pas au malheur, il n'arrive pas.
Je ne dirais pas que les Français de 1939 ne croyaient pas qu'il y aurait la guerre. Je dirais plutôt que les Français de 1939 ne voulaient pas croire qu'il y aurait la guerre (comme Sartre l'a très bien rendu également dans sa trilogie "Les chemins de la liberté").
En ce sens, "Untel père et fils" est bien un film de 1939, pas patriotique pour deux sous.
C'est donc ainsi qu'il apparut sur les écrans en 1945. Autant vous dire qu'il rencontra plus de railleries (surtout de la part des critiques) que d'acclamations et, qu'aujourd'hui encore, il n'est pas un long-métrage sur lequel on s'étend quand on évoque la carrière de Julien Duvivier.
Néanmoins, il tient la route (même amputé de quelques scènes perdues pendant son voyage retour des États-Unis en 1945, Duvivier ayant réussi à faire venir les bobines en Amérique en 1943 afin que les Allemands ne les détruisent pas. Il y aura même une sortie américaine qui non seulement ne rencontra aucun succès mais en qui en plus ne fit pas une publicité flatteuse des Français au moment où les dirigeants américains devaient justifier devant leurs concitoyens de la nécessité de libérer l'Europe. Les scènes perdues concernaient Michèle Morgan et Harry Krimer pendant et après la 1ère guerre mondiale, et Louis Jouvet jouant Félix dans la partie coloniale en Afrique).
Car si l'atmosphère de 1939 déteint sur toutes les périodes abordées par le film, en revanche, Duvivier n'a pas lésiné sur les symboles qui marquèrent différemment 1870, 1900, 1914 ou 1939. Que ça soit sur un plan géographique (l'empire colonial Français donc, où il était possible d'aller travailler comme le fait Félix Froment alias Louis Jouvet), sur un plan militaire (la Grosse Bertha), sur un plan technologique (Raimu achète une des premières voitures, et Le Vigan est un pionnier de l'aviation), ou encore sur l'évolution de Montmartre qui passe du statut de butte à celui de village, puis du statut de quartier à celui d'arrondissement (construction du Sacré-Coeur, les nuits de fêtes au Moulin-Rouge, les ateliers de peintres...).
Maintenant que nous sommes loin des considérations des années 40, c'est un film assez agréable à regarder, qui nous parle de notre histoire, curieusement préservé de la fameuse noirceur qui habille habituellement le cinéma de Duvivier (mais rassurez-vous, on y retrouve sa patte. Notamment dans une scène magnifique ou Le Vigan parvient à faire décoller son prototype d'avion, et où Duvivier laisse la caméra sur Lucien Nat qui court à côté de l'avion, à la fois surpris, stupéfait et émerveillé par ce qu'il voit et qu'il croyait impossible).
Et puis, quel régal de retrouver Raimu, Louis Jouvet, Suzy Prim, Michèle Morgan, Maupi, Louis Jourdan et Robert Le Vigan (lequel joue un aviateur français se battant contre les allemands durant la guerre de 14, alors qu'au moment où sortait le film il était recherché par le tribunal d'épuration pour fait de collaboration avec l'occupant nazi).
"Untel père et fils" n'est ni un film patriote ni un film pacifiste, mais un film humaniste, oui sûrement.