You don't get to make the decisions anymore!

Bon sang, qu’est-ce que ça faisait longtemps qu’un film d’horreur au ciné ne m’avait pas autant pris aux tripes. Bon certes, on est plus du côté du thriller horrifique et j’ai la fâcheuse tendance de ne pas aller voir ce genre de film au ciné à cause du public (souvent pas en raccord avec le film #GourdesQuiExplosentDeRire). La première pensée qui ressort du film, c’est que je lui trouve une filiation assez forte avec Funny Games de Haneke (peut-être la version américaine vu le contexte), tout en restant aussi très fidèle à l’univers que Jordan Peele mettait déjà en place avec Get Out. On y voit déjà une patte particulière.


J’ai tout simplement adoré le film, de bout en bout. N’ayant rien lu à son sujet pour éviter tout spoiler, j’y suis allé complètement en aveugle. Et je n’ai pas été déçu. Après une introduction pour le moins glaçante et parfaitement maîtrisée, l’intrigue s’évertue à rendre hommage aux grands classiques de l’horreur, en modernisant certains codes sans pour autant verser dans la surenchère. Tout est très bien dosé, très bien rythmé. Pour ma part, je ne me suis pas ennuyé à une seule reprise, tellement la tension mise en place était oppressante. On en vient presque à étouffer tellement l’horreur s’insinue de partout avant de prendre la place principale. La première partie est souvent primordiale dans ce genre de film, et ici, Jordan Peele ne fait aucune fausse note : la satire du rêve américaine y est acide et savoureuse, que ce soit par les Wilson, ou encore plus les Tyler.


Dès le départ, le film pose ses indices pour sa conclusion, dissémine les éléments qui ne relèveront leur importance que plus tard, n’hésitant pas à jouer avec l’ironie (la déclaration de Zora à propos du complot en est la plus belle illustration). Tout se met en place, avec parfois un peu de précipitation


(je pense notamment à quand Adelaide partage ses inquiétudes sur les coïncidences, alors qu’on n’a pas eu d’exemple à proprement parler).


C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai commencé à être de plus en plus captiver par le film, car je n’avais pas pensé à l’histoire des sosies. Vu l’introduction, je pensais que quelque chose ferait ressurgir le traumatisme d’enfance d’Adelaide, la transformant en psychopathe (ou équivalent). Sauf que non, l’idée du film est bien plus intéressante et beaucoup plus terrifiante.


Lorsque la seconde partie du film démarre, l’horreur nous saisit à la gorge et ne nous lâchera qu’à la fin. Chose que j’ai beaucoup apprécié, c’est que l’intrigue prend le temps de raconter son histoire, de mettre en place les pions et d’utiliser les artifices. Je pense notamment à l’arrivée des sosies, qui pourraient paraître longue mais Jordan Peel réussit à en faire quelque chose de terriblement angoissant. Puis, lorsque ça démarre enfin, j’ai beaucoup apprécié les choix pris. J’ai cru aussi qu’on allait être dans de la violation du domicile pendant tout le film, mais non. Le huit clos est souvent un moyen de créer artificiellement une atmosphère oppressante (aucun échappatoire possible), mais ici le film n’en a nullement besoin.


Même, il s’en défait très rapidement en éclatant la famille, créant ainsi plusieurs intrigues séparées construites et montées chacun indépendamment pour faire monter petit à petit la tension. D’autant plus que le personnage principal, Adelaide, est maintenue prisonnière, ce n’est pas vraiment pour elle qu’on s’inquiète mais pour les autres, comme elle qui s’inquiète pour sa famille. On est happé et on retient notre respiration jusqu’au « dénouement ». Car là aussi, le film joue avec nos attentes. Pensant que l’horreur se concentrerait sur cette famille, la troisième partie du film ouvre sur une toute autre échelle et on comprend que quelque chose de plus vaste est en jeu.


L’agression des Tyler est certes plus rapide mais tout aussi intéressante, car elle continue à dépeindre cette satire du rêve américain, avec cette fois-ci une teinte d’ironie et de cynisme bien posée avec notamment Ophélia. J’ai beaucoup aimé cette seconde partie, car on sent également un changement important chez les Wilson, et j’en tends Gabe, Zora et Jason. Alors certes, c’est plutôt rapide comme changement, voire brutal, mais j’ai beaucoup apprécié que l’intrigue prenne le temps de le faire


(la scène où Zora et Jason rentrent dans la maison est stupéfiante, ou quand Gabe s’occupe de Tex).


Habituellement, il y a toujours un personnage qui s’en sort par-dessus les autres, mais cette fois-ci, on sent vraiment la dynamique familiale, qui est une des thématiques du film. Ça contrebalance la satire faite au début, avec les parents et leurs enfants répondant à différents stéréotypes. Cette scène enclenche un changement au sein même de la famille et des personnages, comme si chacun venait de passer un pallier pour rejoindre Adelaide. De plus, l’intrigue n’hésite pas à brouiller la hiérarchie au sein même de la famille, tout en le soutenant par un aspect logique. Et c’est là que le film nous porte encore plus loin, car il décide de faire passer à Adelaide un nouveau pallier, et elle ne sera plus rattrapée.


Car la suite revient au cœur des Wilson. Si le côté « grande échelle » est toujours présent, il n’est mis qu’en arrière-plan, et c’est bien le combat d’Adelaide pour sa famille qui va primer, rejoignant ainsi ce qu’on retrouve dans les films d’horreur : le duel final. Ça sera sans doute la partie du film qui sera la plus irrégulière. Dans le sens où j’ai globalement beaucoup aimé, avec notamment ce parallèle où les Wilson reviennent peu à peu à la normal, alors qu’Adelaide s’enfonce (littéralement et figurativement) de plus en plus. C’est à ce moment où le film quitte l’horreur pour venir du côté du thriller, sans pour autant se délaisser de son atmosphère angoissante.


Mais à côté, j’ai moyennement l’explication apportée pour les Tethered (Reliés en français du coup ?), car ça casse le rythme global. Si ça fait écho avec ce que Zora sortait inconsciemment plus tôt et donne des réponses pour la suite et permet d’aborder certaines thématiques à propos du contrôle qu’on exerce (ou non) sur notre corps, ça reste quand même très superflu dans le contexte global du film. La résolution sera en revanche très bien amenée, et le twist final (que je n’avais pas vu venir pour le coup) donne alors son sens aux problèmes soulevées par les coïncidences d’Adelaide :


puisque c’est elle la copie, c’est elle qui suivait en fait les mouvements de Red. Ou l’inverse en fait : Red ne faisait qui suivre les mouvements d’Adelaide, ce qui explique aussi pourquoi celle-ci avait autant d’indépendance au point de pouvoir mener une révolte (et qu’elle est la seule à parler). Et ça permet aussi de montrer comment Red a acquis une âme en étant au contact des humains, même si elle finit par libérer son côté sombre à la fin.


Bref, j’ai beaucoup aimé ce twist.


Concernant le casting, l’ensemble est extrêmement bon. Alors certes, on ne voit pas beaucoup les Tyler, mais avec le peu qu’ils ont, ils sont superbes (notamment Elisabeth Moss). Et les Wilson sont fantastiques ! J’ai beaucoup aimé les deux enfants, plutôt très bien dirigés (toujours un problème, surtout sur ce genre de film), avec une nette préférence pour celle qui joue Zora (et son sosie, flippant à souhait). Winston Duke est vraiment génial, que ce soit pour l’humour dont il fait preuve, où comment il gère l’évolution de son personnage et ses différentes facettes


(notamment lorsque les sosies arrivent, on voit sa confiance fuir, c’est incroyable).


Mais oui, on ne va pas tourner plus longtemps autour du pot : Lupita Nyong’o est tout simplement immense dans ses deux rôles. Elle est bluffante, dans la façon dont elle s’insère dans le corps et les personnalités diamétralement opposés d’Adelaide et Red. Chaque scène est juste, chaque réaction est instinctive et viscérale. Dommage que le film sorte si loin de la période des cérémonies, car il y a largement de quoi mériter une place. Sans conteste une de ses meilleures prestations, voire la meilleure en tant que rôle principal. Elle est bien entourée, mais porte tout à fait le film à elle seule (notamment dans sa dernière partie).


Techniquement, c’est un régal. Après Get Out, Michael Abels nous offre là une nouvelle bande originale formidable, que ce soit dans la création de l’atmosphère, l’accompagnement, ce côté à la fois viscéral et dérangeant de l’intrigue et des personnages. La musique reflète tout ça à la fois, elle est superbe. Idem pour les décors, qui jouent parfaitement sur les deux tableaux de l’horreur et de la satire du rêve américain. J’ai beaucoup aimé aussi ce qui est fait avec le repère des Reliés. Quant à la mise en scène, une nouvelle fois, Jordan Peel réjouit le cinéphile que je suis avec tout un tas de plans et de scènes parfaitement millimétrés. Outre l’usage d’artifice propre au genre, il n’hésite pas à jouer avec les codes, nous tromper, et à utiliser la photo et le montage pour nous induire en erreur. Brillant !


Us est donc un très bon film. Cela fait très longtemps qu’un tel film ne m’avait pas satisfait au cinéma, et même en comptant les séances de rattrapage, c’est un des meilleurs du genre de ces dernières années. À mon sens supérieur à Get Out, Jordan Peel nous prouve ici qu’il est un réalisateur à suivre avec intérêt !

vive_le_cine
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le 6 avr. 2019

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vive_le_ciné

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