En 2038, la Grande-Bretagne est devenue une dictature dirigée par la main de fer d’Adam Sutler (John Hurt, mais que diable allait-il faire en cette galère ?). Un homme masqué, qui se surnomme V (Hugo Weaving), résiste toutefois par des actions terroristes spectaculaires visant à pousser le peuple à la révolte. Témoin d’un de ses attentats, la jeune femme Evey Hammond (Nathalie Portman) est immédiatement fascinée par cet homme. Seulement, impliquée contre son gré dans les complots de ce dernier, elle se retrouve la cible principale du gouvernement…
Il y a « film politique » et « film politique »… En effet, quand on cherche un film appartenant à cette catégorie, c’est souvent tout ou rien. On peut aussi bien tomber sur Le Dictateur que sur V pour Vendetta. Si je compare ces deux films, ça n’a évidemment rien de fortuit. De fait, les deux films témoignent d’un but et d’un outil en commun. Le but, c’est de dénoncer le fascisme ; l’outil, c’est la caricature. Seulement, Le Dictateur a pour lui deux avantages que n’a pas V pour Vendetta. Le film de Chaplin date de 1940, son propos est donc d’une actualité brûlante pour l’époque et sa dénonciation d’autant plus pertinente. En outre, son emploi de la caricature est volontaire et assumé. Le film de McTeigue arrive 60 ans après, à une époque où la dictature fasciste telle qu’on en a connu au XXe n’est plus vraiment un risque envisageable, et son emploi de la caricature est totalement inassumé, sinon involontaire.
Si l’on devait envisager l’établissement d’une dictature dans nos pays occidentaux, elle ne pourrait plus être la dictature de l’ordre et de la violence. L'évolution de nos sociétés a fait muter la dictature vers une forme beaucoup plus insidieuse. De fait, à l'opposé de l'image habituelle, ce serait la dictature du désordre, du relativisme : une dictature qui revêtirait toutes les apparences de la démocratie (jusqu’au nom), et dont on est peut-être bien en train de vivre le commencement.
Contrairement à ce que beaucoup de gens, bloqués sur le 1984 d’Orwell, prétendent, la vision d’Orwell est dépassée (ce qui n'enlève rien à l'immense intérêt du livre). Comme le disait Terry Gilliam à la sortie de son bijou Brazil, qui, quoi qu'on en dise, n'est pas une adaptation d'Orwell, « Brazil est un film sur aujourd'hui, 1984 sur 1948».
Or, V pour Vendetta est complètement prisonnier de sa vision orwellienne de la société, à l’inverse du film de Terry Gilliam, qui, lui, justement, adoptait une vision bien plus « huxleyenne » (si l’on me permet ce mot bizarre), se glissant dans la lignée du véritable prophète du XXe, Aldous Huxley, qui, avec son chef-d’œuvre Le Meilleur des mondes, nous prédisait un monde vers lequel notre société actuelle semble s’acheminer tout droit, et où le peuple, loin d’être broyé par le système, l’accepte tout entier, participant ainsi à sa propre aliénation. En cela, V pour Vendetta tombe constamment à côté de la plaque par sa tendance à refuser de voir les choses en face et à rester bloqué sur un modèle qui n’a plus rien d’actuel (même si cette idée de la responsabilité de chacun de nous est rapidement esquissée, mais en une seule phrase bien trop courte).
Ce ne serait pas très grave si les frères Wachowski, scénaristes du film, n’en profitaient pour délivrer un message anarchiste et populiste, aussi terrifiant qu’hilarant. Hilarant, il l’est par son aberrante hypocrisie, qui passe par une caricature si aveugle et involontaire qu’elle en devient irrémédiablement drôle. Ainsi, on préférera rire que pleurer quand on voit V déclarer que le gouvernement est profondément injuste à cause de sa politique du « La fin justifie les moyens », alors que par ses actions terroristes, il met en œuvre cet adage exactement de la même manière que le gouvernement qu’il combat.
Dès lors, son discours est vidé de toute force et de toute substance, tant son manque de cohérence crève les yeux à chaque instant, comme tout discours anarchiste qui se respecte. Et la caricature se retrouve à tous les niveaux : qu’on voie la scène de l’évêque pédophile, sans doute un des plus grands fous rires involontaires que j'aie jamais eu devant un film, ou bien la gentille lesbienne qui nous fait du La Vie d’Adèle résumé en 5 minutes (et sans les scènes de sexe), sans omettre de tomber dans TOUS les clichés à éviter, ou encore cette étonnante scène finale d’un film qui se veut anti-dictature, où le peuple met à bas ladite dictature sur l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski, soit sur la musique… de l’hymne de la Russie tsariste !!! Entendons-nous bien, j'ai beaucoup d’estime pour la Russie des Tsars (plus que pour l’anarchisme de V, déjà), mais en termes de cohérence de propos, on a déjà vu mieux… A cette image, donc, le film de James McTeigue fait rire à chacune de ses secondes par sa volonté manifeste de se vouloir un pamphlet politique révolutionnaire et courageux, alors qu’il n’est objectivement qu’un gouffre de démagogie et de politiquement correct tellement insipide qu’il en devient surréaliste.
C’est d’autant plus dommage qu’au niveau de la mise en scène, McTeigue nous montre qu’il n’est pas un manchot (et pourtant, il a fait ses classes sur Matrix), adoptant une sobriété de ton qui lui fait honneur, accompagnée d’une véritable élégance visuelle. En outre, le scénario exploite quand même quelques idées intéressantes, notamment à travers le personnage masqué de V, dont le pouvoir de fascination est assez impressionnant (en tous cas, quand on ne cherche pas à mettre du sens sur ses mots), et dont la mise en image est excellente, sans oublier de mentionner la gestuelle d'Hugo Weaving savamment étudiée.
Malheureusement, ce beau travail sur la forme ne parvient pas à occulter le néant abyssal d’un fond politique catastrophique, d’autant plus effrayant quand on sait combien V pour Vendetta est un film culte auprès d’un très large public. Certains ont même cru pouvoir dire de cette œuvre qu’elle faisait émerger un grand réalisateur. Pourtant, quand on voit la carrière de James McTeigue après ce premier film, il n’y a guère qu’une seule conclusion à en tirer, et ce n’est pas vraiment celle-là…