Les droits de l'oeuvre controversée de David Lloyd et Alan Moore ayant été récupérés par le producteur Joel Silver à la fin des années 90, ce sont donc ses poulains les Wachowski qui eurent l'insigne honneur (et la lourde tâche) d'adapter V for Vendetta pour le cinéma, signant le scénario mais confiant la mise en scène à James McTeigue, assistant réalisateur sur la trilogie Matrix.
Automatiquement reniée par un Alan Moore à jamais traumatisé par le traitement infligé à son LXG, cette transposition avait autant de chances de se planter que d'accomplir un miracle. Casting quatre étoiles, scénaristes prestigieux, matériau de base en or... mais aussi un réalisateur tenant plus du gentil yes-man que du maverick à la barre, le cadre du blockbuster obligé de trouver son public (donc de faire des concessions) et bien évidemment le fantôme des précédentes adaptations du travail de Moore, peu réputées même si votre humble serviteur doit avouer son relatif amour pour le From Hell des frangins Hughes.
Dès son introduction, évocation poussive du funeste destin de Guy Fawkes, V for Vendetta semble nous avertir que oui, il tentera de rester le plus fidèle possible au comic-book d'origine, mais qu'il nous tiendra constamment la main tout du long, surlignera chaque thématique au marqueur fluo, dans le but visiblement de ne pas perdre totalement le spectateur qui ne demandait qu'à voir qu'un gros délire à la Matrix.
Des écrits de Moore, le film de James McTeigue conserve la trame d'ensemble, les personnages principaux et pas mal de séquences, même si pour la plupart un tantinet expurgées de leurs éléments les plus transgressifs. Les Wachowski adaptent, élaguent, abandonnent certains protagonistes et sous-intrigues afin d'accoucher du film le plus digeste possible. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soit, la différence de média appelant forcément une structure et un langage différent.
Si l'on ne pourra décemment pas retirer au long-métrage son envie de bien faire, le courage de transposer un objet aussi brûlant et en plus de ne pas le trahir totalement au passage (ce qui tient du miracle), il est fort dommageable de ne pas avoir confié le projet à un véritable metteur en scène capable d'apporter une vision qui lui serait propre. Loin d'être incompétent, McTeigue fait le boulot, torche l'ensemble honorablement, mais peine à apporter un souffle, un cachet à l'ensemble.
Même chose en ce qui concerne le scénario des Wachowski, certes carré mais trop mécanique, pratiquement dénué d'émotion et de cette touche inconfortable qui émanait du chef-d'oeuvre de Moore et Lloyd. Autrefois complexes, bénéficiant d'une écriture intelligente, les protagonistes deviennent ici de simples marionnettes, plus fonctionnelles que réelles.
Restent un Hugo Weaving impressionnant et la satisfaction de constater qu'un blockbuster peut encore receler en lui quelques aspects subversifs mais pour ma part, V for Vendetta reste la copie bien plate de son aînée, à mille lieux de sa puissance formelle comme narrative, et étonnamment moins cinématographique que la mise en page de David Lloyd. Comme quoi, certaines cases se suffisent largement à elles-mêmes.