Critique ajournée le 02/01/2016
On voit assez vite en quoi V pour Vendetta se veut fédérateur et a rallié autant le public à sa cause. Arrondissant les angles avec un héros bien sous tout rapport et une dictature qui cumule les images fortes d’oppression connues du grand public (des camps de concentration à Guantanamo, tout ce qui est « mal » y passe), il semble impossible de se dresser face au brise glace V pour Vendetta qui manichéise complètement son matériau (un fait qui doit probablement le faire diverger un peu des écrits de Moore, qui aime davantage jouer avec la moralité (voir Watchmen pour s’en convaincre). N’ayant pas lu ses travaux (à l'écriture de cette chronique, c'est chose faite aujourd'hui), je ne peux donc juger de la pertinence de l’adaptation des frères Wachowski et de McTeigue. Mais qu’est-ce que cela change à la qualité du film, si il adapte bien ou pas ? Rien, si il y a du talent, le film est bon, sinon, c'est rideau. Et V pour Vendetta, blockbuster soi disant subversif, ne fait rien pour changer les règles (on comprend très bien d'ailleurs que Moore ait refusé de voir son nom inscrit au générique. Se contentant de montrer les têtes pensantes de la dictature comme des méchants bonhommes incapable de dire autre chose que des saloperies (mention spéciale à Protero, aux slogans dictatoriaux entrecoupés d’invocations à Dieu histoire d’agacer davantage, et à l’évêque pédophile qui fait venir les mineures directement au monastère pour leur balancer du « j’adore jouer à confesse ! »), V pour vendetta enfonce les portes ouvertes, sans laisser d’autre choix au spectateur que d’adhérer à la cause, de glorifier V, victime surhumaine miraculeusement rescapé d’un camp d’expérimentation qui entreprend sa quête de vengeance, mais c’est au nom de la liberté (quitte à faire les choses en grand).
Le matériau est surtout considérablement aseptisé. On n'est plus qu'en face d'un duel de carnaval, sans parti pris, aussi clair qu'un parent éploré en face d'un pédophile tueur d'enfant multi récidiviste qui ne se lave pas. L'intouchable V pour Vendetta, aussi rayonnant qu'un Robin des bois cultivé, philanthrope, humaniste combattant par les piques et les coups d'estocs le retour du troisième Reich qui vise à garder le pouvoir en écrasant le peuple sans chercher à garantir le moindre ordre (malgré sa relative fadeur, la première partie d'Enfant 44 était plutôt réussie à ce niveau). Mais tout cela est vain. Le film n'est même pas juste dans sa représentation de l'anarchie défendue par V. Car l'anarchie ne peut être atteinte sans passer par une phase de chaos. Or c'est bien ce chaos qui pose problème aux penseurs, car plus rien n'est alors garanti, et de l'anarchie visée, on peut très vite basculer vers d'autres destinées politiques et sociales. Or le comics en parlait, et se soumettait à cette phase (de façon plutôt optimiste car elle permettait de déstabiliser le régime avant de porter le dernier coup). Ici, elle est considérablement réduite, et si les dérives étaient évidentes (elles contribuaient au chaos générale), elles ne viennent ici que de la dictature en place (qui en rajoute une couche avec les flashs infos alarmistes, double les patrouilles et les rafles, avec ce connard qui abat une enfant faisant un tag, dans le genre stupide, en voilà un qui tient une bonne couche déjà se balader seul en temps d'instabilité...). C'est aussi malhonnête que ridicule. Mais il faut évacuer tout le subversif pour ne laisser aucune chance à la dictature, et que toute la population se retrouve obligée d'adhérer à la trajectoire que donne V.
Pour contrebalancer cette aseptisation, il y a de monstrueuses exagérations qu'il va falloir souligner. Dans la bande dessinée, V utilisait le système de courrier pour envoyer un maximum d'innocents dans les rafles. Ici, ce sont des millions de masques manufacturés qui passent par le système postal. Dans le genre commande inhabituelle, il est incroyable de constater l'incompétence d'une dictature qui ne remarque même pas l'énormité de la chose. Un colis est autrement plus facile à détecter qu'une lettre. Et enfin, cette fameuse phrase que tout le monde a retenu : "sous ce masque, il y a plus de que la chair, sous ce masque, il y a une idée." Après avoir encaissé une centaine de bastos (qui ont traversé son armure). Pourquoi une telle exagération si ce n'est perdre toute subtilité. Et enlever par la suite à Eve un rôle capital dans la direction politique du pays. Bref, une aseptisation pour que tout le monde soit bien sous tout rapport.
Parlons de V maintenant. Ce surhomme animé par l’idée fixe d’une vengeance, à même de le faire survivre à une pluie de balle. On nous le présente d’abord comme un sauveur du peuple, avant de nous balancer le statut terroriste à la face avec la destruction du Old Baily. Scène iconique qui nous plante donc un personnage sympa, intelligent, cultivé (te citant des philosophes, il a la classe, du coup, on cautionne sa quête), un brin robin des bois (je vole pour moi, mais c'est au chancelier) et surtout divin. Je dis bien divin car ses attentats sont tous improbables. Rendez-vous compte, V est tellement un crack que pour chacun de ses coups, il utilise un dispositif d’urgence qu’il pirate on ne sait pas comment. Et pour l’explosion finale, on nous glisse carrément qu’il a remis en état le métro durant les 10 dernières années. Impressionnant ! Donnez lui un marteau et une pelle, et il va vous recreuser le tunnel sous la manche ! En vérité, le film veut voir V gagner, c’est une évidence. Aussi, le scénario lui donne des coups de pouce monstrueux. Mais comme le montage essaye d’insuffler du rythme, on ne se pose pas la question sur le coup, on va de l’avant, et miracle, la dictature tombe ! Résonnez, trompettes ! Et… c’est la fin, on ne sait pas sur quoi la démolition du Parlement débouche, si la dictature fait place à l’anarchie promise par V (car au final, il n’offre aucune alternative, il veut seulement faire tomber la dictature, se foutant de livrer le pays au chaos qui a contaminé les autres continents...). Mais en laissant quand même Eve appuyer sur le bouton, car il ne faut pas que ce soit lui qui fasse tomber la république (car on pourrait dire que c'est une vengeance), mais qu'il ait seulement été un symbole fédérateur. Dernière anecdote rigolote, cet anarchiste de Guy Fawkes, que le film glorifie en le montrant comme père spirituel de V… était un royaliste qui voulait surtout tuer le roi Jacques 1er en faisant sauter la chambre des Lords pour établir un nouvel ordre monarchique plus propice à ses opinions religieuses. XD
Vient maintenant la question de la population. En effet, c’est par elle que le public est sensé s’identifier à la situation et réagir. Celle-ci devait donc bénéficier d’un bon traitement. Mais non, il s’agit de personnes qui regardent la télé. V organise un apéro facebook devant le parlement ? Je m’inscris et j’en profite pour porter un masque. En gros, la participation équivaut ici à une signature de pétition (c’est anonyme, mais on a le sentiment d’avoir participé). Bref, le film place les spectateurs exactement au bon endroit (c’est de votre faute, mais vous avez des excuses, et maintenant il faut réparer) et les fait évoluer dans une seule direction, au nom de la liberté.
Concernant la dictature, celle ci est tellement ancrée dans le camp du mal qu'elle en devient violemment fade, celle ci compilant les images d'oppression sans vraiment parvenir à établir de cohérence dans tous ses ingrédients (des camps d'expérimentation humaine et les laboratoires pharmaceutiques qui testent des armes bactériologiques... Cela veut dire que ces installations existaient avant la montée au pouvoir de la Chancellerie, qu'ils avaient donc déjà été construit et qu'il y a comme une couille dans le potage (c'était quoi alors ? Un labo privé alimenté par des prisonniers livrés par la république ? Des rafles "privées" ?). Bref, le film essaye de faire cohabiter des structures issues du passé et des structures modernes sans vraiment parvenir à être convaincant. D'ailleurs, dans le comic, les bases de la dictature ne sont pas évoquées, ou très superficiellement. C'est mieux que ce canard boiteux qu'ils nous présentent pour l'émergence de ce troisième reich. Pourquoi cette incohérence flagrante avec des camps d'expérimentation existant déjà avant la dictature ? La réponse est simple : il faut disculper davantage la population ! Montrer qu'on leur a mis la pression et qu'on a ensuite fait un chantage (un vaccin contre une voix). Sauf que c'est ubuesque et absurde. Hitler et les SA ont incendié le reichtag, mais le climat ambiant était déjà propice à son émergence (et il fallait rapidement faire bouger les institutions qui faisaient barrage). Ici, la population (autrement dit le spectateur) est si dédouanée qu'on ne se sent pas impliqué. Cela contribue à cette impression de monotonie dans la représentation du Mal, où chacun des représentants de la politique locale est dotée d'une bonne grosse tare des familles pour en faire un parti hypocrite (un pédophile, un sadique et un apprenti hitler sans substance, sans charisme, qui n'est rien d'autre qu'un visage vociférant en gros plan). Cette dictature, si elle emploie des arguments qui ont déjà été vus (rafles de minorités indésirables, soutien et utilisation de la religion, censure et propagande télévisuelle...), est aussi un fantôme, une structure qui ne donne jamais vraiment l'illusion de faire le poids. Elle ne vit que pour accaparer le pouvoir, même pas pour préserver l'ordre du chaos qui a contaminé le monde entier, ou même assurer l'auto-subsistance du pays (les denrées de luxe (fromage, lait, chocolat...) sont détournés par la chancellerie, et la population vit (soit disant) dans la peur, même si les plans avec les londoniens montrent des intérieurs tout à fait modernes et équipés, avec tout le confort de la société de consommation moderne (pubs, écrans plats, magasins...)...). Mais non, cette dictature est une botte qui martèle sans arrêt un visage comme le disait un garde dans 1984. Sans toutefois le jusqu'auboutisme ou le sens pratique, et même l'influence sur la population (cette dernière semble-t-elle avoir peur en dehors des patrouilles ?).
Au final, un beau leurre pour les cinéphiles, qui pourront s’offusquer de la pauvreté idéologique d’un tel univers (alors que Brazil, 1984 et même Equilibrium (pompant vers 451) se révélent nettement plus consistants).