Un nanar de première classe (longue critique, écrite par un type ayant bossé avec son réalisateur)

Dominique Rocher... Non non, pas celui de "La nuit a dévoré le monde", non. L'AUTRE.
Moi et 5 autres étudiants en cinéma avons eu l'occasion de le rencontrer. Nous avions choisi, par le biais d'un stage, de participer au tournage de son prochain film "Solex dans les prés" courant l'été 2019. On avait eu l'occasion de le rencontrer avant le tournage, bien sûr : il avait un sourire d'enfant à avaler le monde tout cru. Son fils et sa femme, respectivement assistant personnel et productrice, l'aidaient à tenir à flots sa petite entreprise. Et rien que ce détail est fou : pas d'employés, juste eux, mais sa société nommée Couvoir Production existe légalement depuis 8 ans. Et ils n'ont sortis pour l'instant qu'un seul film, celui-là. Qui fait à peine pro (mais je vais y venir). C'est même pas genre la bohème pour ce "studio" ! Nous vivons dans un monde de barges.
Bref, pour résumer très simplement mon expérience avec le bonhomme : sur nous 6, 3 sont partis avant la fin, dont moi. La raison n'était pas entièrement dû au tournage, mais ça avait pris de trop grandes dimensions...
Comprenez bien que le réalisateur n'était pas franchement méchant. Mais il était irrespectueux des techniciens (il a fini par dire à son assistant, un gars de l'esra également, de "rester dans son coin et se taire" parce qu'il parlait des répliques mémorables avec les comédiens), parano (son fils espionnait nos conversations et rapportait tout à papa-maman), et surtout addict aux conflits inutiles qu'il provoquait tout seul. Pour lui, faire un film et la bonne humeur étaient incompatibles. Personnellement, ma goutte d'eau aura été sa femme disant à mes camarades techniciens (des lycéens en option) de ne pas toucher à un baby-foot dans une coulisse : "Vous n'y touchez pas ! Ah bah oui ! Vous récoltez ce que vous semez !". Sachant qu'on est bénévoles, que nous avons fait des choses illégales sur leur tournage (dont tourner avec un putain de tracteur devant des chambres de patients non prévenus !), qu'on a ravalé notre fierté autant de fois (ils nous voyaient vraiment comme des alcooliques), que nous avons laissé passer des explosions de lois du travail, pour un projet aussi glorieux que ce "Va y avoir du soui", c'était juste plus possible. Soit je continuais et j'acceptais d'être un esclave, soit j'arrêtais et je redevenais un Homme. Il m'a suffit de me demander "qu'est-ce qu'aurait dit Léo Ferré si il te voyais comme ça ?" et j'ai largué. Pourtant, je bossais même pas directement avec lui, j'étais au son, contrairement à mes 5 autres camarades qui eux côtoyaient de près ses conneries. Mais, comme je faisais le con avec mes deux copains de son toute la journée, et qu'eux à coté commençaient à avoir une estime d'eux même très rabaissés par l'expérience, il y a eu aussi un moment où je me suis senti coupable, et j'ai jamais osé leur avouer. J'avais beau bien m'entendre avec l'équipe technique, j'avais des choses beaucoup plus préoccupantes et importantes à gérer à côté. 3 sont restés jusqu'au bout ; j'ai eu la tristesse d'apprendre que c'est après avoir lu ma lettre de démission, où j'avais conclu en leur disant que le film était en danger à cause de leur irrespect pour les techniciens et donc "risquaient d'avoir des surprises embarrassantes", que Dominique a enfin commencé à détendre l'ambiance globale. Rassurez-vous, ils n'auront pas à voir de psy.
Pour vous donner un aperçu de la compétence du gars : lors d'une journée de tournage, il nous a laissé tourner un plan au drone, avec le boitier du micro hyper visible à la poche arrière. Bien sûr qu'on voulait le planquer, mais lui voulait surtout se coucher plus tôt. Une autre fois, il s’apercevait même pas qu'il tournait alors qu'il était la caméra. Impossible de toute énumérer. Et pourtant, j'ai bien vérifier, il a bien bossé sur toutes les chaines de France Télévision, il a animé une émission sur la BD ! A part le coma, j'ai aucune explication. Aucun de nous 6 n'a été indifférent à cette expérience. Surtout ma camarade féminine, qui elle a eu droit à des touchers un peu trop tactiles du réalisateur, pour couronner le tout...


VA Y AVOIR DU SOUI, donc ! Le film était devenu un mème, dans notre campement réservé. Rien que la bande-annonce est exceptionnelle : les musiques (entre le thème d'"Angry Birds" et le rap de DOMINIQUE LUI-MEME !), le choix des dialogues, les panneaux en Comic Sans MS, c'est hyper dur de se dire en la regardant que ce film a été diffusé dans des salles obscures. Et pourtant, c'est vrai : il a même battu "Gravity" en Mayenne. Monde de barges que disais-je. Tout comme "Solex dans les prés", sur lequel nous avions travaillé, "Va y avoir du soui" s'est basé sur un travail de bénévoles (qui non seulement s'est aussi mal passé, mais en plus les techniciens n'ont pas fait le travail minimum et ça c'est moins cool). Aucun professionnel sur ce plateau. 28 000 euros de budget. Pour 26 000 entrées. J'en reviens toujours pas.
Et personne ne peut en revenir en voyant le film. Vraiment, c'est un nanar comme il n'en existe pas ailleurs. Le scénario n'a aucun sens, principalement parce que les arcs narratifs ne sont pas finis (en plus d'être trop nombreux et de se disperser). Les personnages sont extrêmement caricaturaux, le beauf fan de Johnny en première loge. D'ailleurs, nous étions très troublés du fait que les techniciens représentés dans le film correspondaient totalement à la vision que Dominique avait de nous sur le plateau, le mec n'a pas évolué depuis quoi... Inutile de dire qu'ils sont représentés comme des ignares qui veulent juste leur pognon. Les religieux aussi en prennent pour leur grade (Dominique a un rapport très paradoxal avec eux : il peut pas les sacquer, mais il en parle tellement qu'il ne serait rien sans eux). Le type à la Terminator est cependant mon préféré : c'est un Deus Ex Machina personnifié, tellement caricatural, tellement improbable, que chaque réplique devient de l'or en barre ! Mais surtout, les séquences les plus involontairement absurdes sont sans conteste celles qui mettent en scène les deux "cailleras" visibles sur l'affiche. Pour deux raisons : vous voyez les pubs des années 90, avec les sous-titres qui "traduisent" l'intraduisable langage des jeunes, dans un soutenu débile, comme celles que JDG montrait ? Imaginez ça sur 1 h 30, avec un soutenu fois 10 000. Imaginez des "cailleras" de banlieue, avec la réplique "vas-y faut qu'on s'casse d'ce bled" sous-titrée par "Hardi compagnon, nous devons reprendre notre route !". SI. JE VOUS JURE QUE C'EST VRAI. Je suis incapable de dire s'il l'a fait dans un second degrés ou pas. Les dialogues, en général, sont les moins naturelles et les plus WTF imaginables. La deuxième raison, c'est qu'ils rencontrent à deux reprises le Deus Ex Machina le plus pété du monde : une femme Anglaise, qui vient de nulle part, les embarque dans sa voiture, et les conduisent à leur but. Point. Et c'est une allumeuse. Comme toutes les filles de l'univers fabuleux de Dominique Rocher ! Ce qui est marrant, c'est qu'à la base, le démarchage pour le budget dans le département 53 s'est basé, justement, sur leur mise en valeur (la Mayenne n'a qu'une seule gare active, pour vous donner une idée des moyens de ce département). A part 2-3 plans contemplatifs, la Mayenne a droit à une image de gros bouseux, victimes des méchants Parisiens qui viennent semer le désordre. Du coup je rassure : les Mayennais, ceux que j'ai rencontré en tout cas, étaient ouverts d'esprit et possédaient des ordinateurs. En somme, le scénario multiplie les intrigues qui n'ont pas de fin, servis par des personnages qui n'en sont pas, et qui se finit par un clin d’œil à "il était une fois dans l'Ouest" qui a failli me faire chialer.
Mais sans sa mise en scène, sans l’œil de l'inimitable Dominique, le scénario ne serait qu'un amas de post-its. Le traitement d'une scène en particulier m'a marqué par son inexplicabilité stupide. En gros, c'est simple : une nana (la "victime de l'amour" de la bande-annonce) veut embrasser un gars, qui repoussait sa seule avance tel un papy dans un vieux film porno. Pour cette scène, il décide... de la passer au ralenti, en noir et blanc, avec une musique du genre NRJ. Je suis incapable de comprendre pourquoi il a fait ça, le niveau est trop haut là. L'inspiration de la BD globalement est omniprésente, notamment avec les cases qui apparaissent en haut de l'image et qui permettent de faire le lien entre les séquences, qui elles n'en ont pas. Cependant, je ne peux nier que le découpage en lui-même ne manquait pas d'idées.
Mais la volonté (et encore, au vu de son comportement à la fois tyrannique et lassée sur notre tournage, je ne savais même plus s'il aimait faire du cinéma) ne suffit évidemment pas : les "acteurs" ne savaient pas quoi faire et n'en sont pas responsables, c'est impossible de se concentrer sur l'histoire tellement les défauts pleuvent, et la technique essaie de suivre péniblement. D'ailleurs, note pour plus tard : si le son du film parait aussi approximatif, c'est apparemment parce que ces techniciens le haïssait tellement qu'ils ont à peine branché les micros. Voilà. Du coup, c'est de la totale post-synchro. Et honnêtement, en sachant cela, en sachant qu'il fait ses montages seul, sachant son niveau sur le plateau, je trouve que généralement il s'en est bien tiré. Par contre, c'est très malhonnête de faire payer les gens pour voir le film après ça.
"Va y avoir du soui" n'est pas un cas d'école, parce que n'importe quel film que nous, petits étudiants de l'ESRA, nous avons fait , est mieux fait que celui-ci au moins au niveau technique. Le projet n'a rien à dire, rien à faire, et semble être un égo-trip pour son réalisateur qui n'en manque absolument pas. Pourtant, j'avais vraiment décelé en lui un enfant qui avait peur, qui ne s'était jamais remis de son enfance trop religieuse. Mais le public se fout de la vie de l'auteur, ou même de sa vision lorsqu'elle est aussi renfermée sur elle-même : il ne reste que le résultat. Et le résultat est. Croyez-moi : à côté, "The Room" est logique. Vraiment.
Je vous recommande également le clip accompagnant le film, trouvable grâce au lien donné dans les Posts de la fiche Senscritique du film : illégal (l'évêque de Laval n'était pas au courant qu'ils tourneraient dans l'église), intolérant, digne de What The Cut, ringard, pas drôle, ça résume tout. Mais je peux vous dire que se farcir un tel personnage au quotidien, même au 35ème degrès, c'est difficile.

Billy98
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le 22 sept. 2019

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Billy98

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