Ah, Luc Besson... tout ou presque a déjà été dit sur lui ! A ses débuts, il fut un des fers de lance du courant dit du « New Look », alors inspiré par la publicité, qui mettait en avant l’esthétique de l’image. Ce choix a déjà suffi à lui mettre à dos une partie de la critique française, globalement un peu « old school » va-t-on dire...
Cependant, le public a suivi et, aujourd’hui, Subway, Nikita, Léon ou Le Grand Bleu sont des œuvres plus ou moins cultes qui ont imposé l’ami Luc comme une valeur sûre. C’est ensuite Le Cinquième Élément qui marqua une nouvelle étape dans sa carrière puisque, bien qu’il ait toujours été influencé par le cinéma des ricains, il allait cette fois jouer directement dans leur cour. Casting trois étoiles composé de Bruce Willis, Chris Tucker, Milla Jovovich et Ian Holm : excusez du peu ! Pour une production complètement jobard alliant blockbuster ricain et influences européennes comme celles de Moebius, Druillet ou encore Christin et Mézières, les créateurs de Valérian et Laureline (on y arrive) !
Et c’est à ce moment qu’a commencé l’étrange relation de Besson avec les États-Unis puisque ses films n’ont jamais vraiment marché là-bas mais que, parallèlement, il est attiré par la démesure que peut atteindre un blockbuster. Du coup, notre bon Luc se retrouve un peu le cul entre deux chaises : à la fois trop européen pour les américains et trop américain pop-corn pour les européens. C’est globalement à ce moment qu’il est devenu de bon ton, pour tout de suite passer pour un vrai cinéphile auprès de ses amis, de défoncer Besson de manière systématique, un peu comme la poignée de main secrète des francs-maçons... ça permet de se reconnaître ! Je vous dis cela alors que je ne supporte pas la trilogie d’Arthur et les minichieurs et que Malavita me cause encore des angoisses nocturnes mais... c’est une autre histoire. Du coup, tout ça pour dire qu'après avoir changé la loi française pour pouvoir faire son film en France (rien que ça !), Luc arrive à une sorte de conclusion logique de sa carrière en adaptant Valérian himself au cinéma.
Bref, revenons donc à Valérian, le projet pharaonique de Besson et film français le plus cher de l’histoire puisque, visiblement, c’est la seule chose qui a intéressé la plupart des médias. La Cité Des Mille Planètes narre donc l’histoire de deux agents d’élite, Valérian et Laureline, qui arpentent l’espace en remplissant des missions plus périlleuses les unes que les autres. Il devront faire face à un sombre complot qui les entraînera au cœur de la station Alpha, la cité des mille planètes, foyer de milliers de cultures. Cependant, le film ne commence pas par cela, ce qui est un choix loin d’être anecdotique, mais il commence par deux longues séquences quasiment sans dialogues et donc purement contemplatives qui cristallisent le rapport à la candeur et à l’utopie parcourant tout le cinéma de Besson et particulièrement ses deux space opéra : Le Cinquième Élément et, donc, Valérian.
La première séquence est donc un montage retraçant la conquête spatiale, d’abord par des images d’archives puis par l’ouverture du cadre qui signifie le passage à la fiction. Les poignées de mains entre différentes nations puis différentes races marquent la progression de l’humanité vers un idéal pacifique qui sera ensuite nuancé dans le film. On découvre alors comment la conquête spatiale s'est poursuivie, faisant croître la station Alpha jusqu’à l’ajout en son sein de races aliens puis son détachement de l’attraction terrestre. Cette évolution de l’ISS vers un noyau cosmopolite accueillant toutes les races et toutes les nationalités est rythmée par le Space Oddity de David Bowie (à retrouver dans la playlist du blog) fonctionnant sans grande surprise du feu de Dieu. Ce prologue nous narre donc le rêve niais ou utopique, selon les sensibilités, d’une conquête spatiale porteuse de paix et de compréhension mutuelle.
L’autre séquence nous plonge cette fois dans l’univers des Pearls, une espèce pacifique vivant en harmonie avec leur écosystème et ne connaissant ni la haine, ni la guerre. Une sorte d’humanité parfaite selon les propos de Besson. C’est alors que ce portrait idéalisé d’une espèce qui aurait pu être la nôtre est mis à l’épreuve par la guerre et la mort.
En soi, cette double introduction, qui ne mentionne jamais nos héros, est un concentré théorique de la vision de Besson : l’innocence et la naïveté mises à l’épreuve par la violence du monde. C’est Lucy, jeune fille influençable transformée en machine de guerre, à l’instar de Nikita... Mais c'est aussi Mathilde dans Léon qui voit son enfance mise à l’épreuve par les événements... Enfin, bien sûr, c'est Leeloo du Cinquième Élément qui est l’incarnation même de cette idée. Les Pearls sont d’ailleurs assez proches de cette dernière, notamment la princesse qui, dans ses traits, son comportement ou son langage, rappellera Leeloo Dallas Multipass.
Tous ces personnages ont en commun d’avoir une certaine innocence et une candeur qui devront faire face à la corruption et à la violence. Le dilemme des personnages est alors le suivant : dans quelle mesure cette violence peut-elle les altérer eux-mêmes ? On comprend donc que ce qui intéresse le plus Besson est de mettre les Pearls face à ce dilemme, ce qui rend compréhensible bien que discutable le fait de si peu se concentrer sur les deux héros. En effet, Valérian et Laureline ne montrent leur frimousse qu’après une dizaine de minute de film et apparaissent comme un moyen pour en apprendre plus sur les Pearls au cours d’une enquête... malheureusement cousue de fil blanc, il faut bien le reconnaître.
On arrive donc in medias res juste avant une première mission et on n'aura pas beaucoup plus d’informations sur leur histoire ou la manière dont ils se sont rencontrés. Tout comme Valérian devient un véhicule pour l’âme de la princesse Pearl, les deux héros sont un véhicule pour circuler au sein de cette univers foisonnant qui aura la priorité par rapport à une caractérisation approfondie des personnages. Ce défaut se ressent à quelques points-clés du métrage, notamment une scène où Valérian prend une décision qui apparaît comme une incohérence par rapport à son comportement depuis le début du film. Pourtant, Dane DeHaan et Cara Delevingne ne déméritent pas fondamentalement même si ça ne casse pas trois pattes à un bigorneau, d’autant qu’ils apparaissent bien trop jeunes pour être des vétérans comme on nous les présente. De même, Clive Owen fait ce qu’il peut avec un rôle qui aurait mérité plus de développement pour éviter d’avoir la profondeur d’un méchant du premier Marvel venu. Au final, les deux surprises les plus rafraîchissantes sont Alain Chabat et Rihanna qui, même s'ils incarnent de petits rôles, sont vraiment marquants.
On voit donc que, globalement, l’écriture pêche un peu et le scénario ne va pas rattraper le tout. En soi, l’histoire est intéressante mais elle est racontée de manière assez maladroite avec, en points d’orgue, les flashback de fin de film ou un suspense autour du méchant vraiment suranné. On se retrouve face à un script en dent de scie qui alterne moments sympas et lourdauds mais à travers lequel transparaît toujours une honnêteté et une sincérité assez touchantes. C’est un fait : Besson n’a pas la subtilité d’un neurochirurgien et, par moment, votre suspension d’incrédulité sera rudement mise a l’épreuve ! Reste alors l’univers visuel qui est le cœur du film.
En effet, ce pourquoi Besson a tant dégraissé ses personnages, c’est pour développer un univers à l’écran qui est l’un des plus enthousiasmants qu’on ait pu voir depuis plusieurs années. Loin d’accoucher d’une science-fiction générique et stérile, Besson a continué le travail commencé sur Le Cinquième Élément pour donner naissances à un univers unique irrigué par la BD européenne : Valérian bien sûr, mais aussi Métal Hurlant par exemple. Malgré une enquête ponctuée de hauts et de bas, arpenter la galaxie est un réel plaisir tant l’univers créé par Besson est foisonnant et rempli de passions. La réalisation de Besson profite de l’univers numérique pour promener sa caméra librement dans d’amples mouvements mettant en valeur le travail des artistes et notamment de Weta qui est saisissant. En termes d’effet spéciaux, on est bien au-dessus de Spider-Man : Homecoming ou Wonder Woman pour prendre l’exemple de deux blockbusters récents.
Qui plus est, il est intéressant de voir que Valérian se démarque aussi des autres blockbusters en ce qu’il n’utilise jamais l’humour pour désamorcer le premier degré et qu’il se ménage ainsi de vrais moments d’émotion. Besson assume pleinement lorsqu’il veut créé l’émotion, quitte à marcher sur la frontière avec le ridicule. On peut voir le dilemme qui se crée chez le spectateur comme une preuve que la naïveté passe de moins en moins face à un public de plus en plus cynique. Ce choix donne un ton unique à Valérian, à la fois blockbluster coloré et lumineux mais qui n’hésite jamais à basculer dans l’émotion pour porter le message de Besson.
Pour conclure, Valérian est un divertissement fondamentalement bancal mais aussi riche et sincère qui se démarque vraiment dans le paysage actuel. Il est impossible de passer outre les problèmes qui émaillent le film mais on peut aussi se réjouir que Valérian porte la marque franche d’un auteur. Besson poursuit au sein d’un ambitieux divertissement sa réflexion utopiste sur la place de la candeur dans un monde qui lui laisse de moins en moins de place. De plus, il place dans son œuvre des figures de femmes fortes et réussit même à faire en sorte que Valérian soit directement guidée par un esprit féminin. C’est ce qui fait toute la beauté de ce Valérian, projet gargantuesque qui réussit à préserver en son sein toutes les préoccupations de son auteur, ce qui, dans le paysage actuel des blockblusters, fait de ce film un pari largement gagnant. This is ground control to major Luc, nice job.

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Créée

le 4 août 2017

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