« Endymion le berger
Fut aperçu par Séléné, la Lune.
Elle le vit et l'aima.
Elle descendit des cieux
Jusqu'à la grotte de Latmos,
Elle l'embrassa et s'étendit près de lui.
Que son sort est fortuné ;
Sans un geste, immobile,
A jamais il sommeille,
Endymion le berger »


Dans les Métamorphoses, Ovide emprunte à Théocrite, poète grec du IIIe siècle, ces vers d'une beauté pure et simple, pour recomposer latin le mythe de la déesse Séléné et de son amant, Endymion le berger. Cette année, Jonas Matzow Gulbrandsen signe Valley of Shadows, présent dans la sélection du 30e Festival Premier Plans d'Angers, une œuvre contemplative qui apparie le mythe grec au folklore scandinave, le récit fondateur aux questions contemporaines, les peurs ancestrales aux angoisses infantiles. L'étiquette "film d'horreur" est plus que trompeuse : il s'agît plutôt d'un récit initiatique, d'une fable gothique, d'un conte psychanalytique. Au début du film, le jeune Aslak dort paisiblement quand son ami, Lasse, le réveille et l'emmène dans l'étable de son père. Là-bas, l'enfant découvre le corps d'un agneau, gisant au sol, les tripes à l'air. Un loup, sans doute. Mais dans l'imaginaire infantile, c'est un loup-garou qui, jour après jour, se cache dans la forêt et sème la mort dans la prairie. Là-bas, dans la nuit, les ombres sont reines. Le doute règne sur la vallée, caressée par la doucereuse lumière de la lune. Comme la face cachée de la Lune, dans ce film, chaque ombre, chaque forme, chaque visage, révèle en creux leur face cachée.


Le frère d'Aslak est la grande inconnue du film. Il traverse le récit. Il se dessine en creux, dans l'image et les dialogues. Il charrie toutes les angoisses, à la fois réelles et fantasmées, de son frère et de sa mère. Son ombre s'étend sur l'écran. On le sent partout, mais on ne le voit pas. C'est la porte d'une chambre entrouverte, c'est un sursaut d'angoisse dans la voix de sa mère, c'est une Lune noire, une éclipse : on en devine simplement les contours. Chaque forme est accompagnée de son ombre, une ombre où se logent les terreurs nocturnes d'Aslak. Plus tard, on apprend que le frère est un camé, un toxico mis à la porte par sa mère et recherché par la police. Est-ce lui, le monstre qui dévore les moutons dans la nuit solitaire ? L'absence du frère, contre-modèle fascinant, fait signe vers une absence plus générale, celle de la figure masculine, celle du père. Dans le ciel nordique, on cherche en vain la présence du Soleil, symbole de la figure paternelle, auquel supplée la Lune, symbole de la figure maternelle.


La circularité de la Lune est aussi la forme du film lui-même. Une forme pure, poreuse et vaporeuse. Le réalisateur relègue le récit au second plan, et propose au spectateur de se perdre dans le film, comme Aslak dans l'ombre noire de la forêt, à la recherche de son border collie mystérieusement disparu. Dans le film, comme dans la forêt, tout se ressemble, tout semble faire éternellement retour, tout semble revêtir le masque de la monstruosité. Derrière chaque arbre, le loup semble prêt à bondir. Derrière chaque image, l'immontrable se profile. Mais la caméra hésite à montrer l'immontrable. Elle hésite à entrer dans la cabane où se termine la quête d'Aslak. Elle reste sur le pas de la porte, au seuil de l'horreur. C'est sans doute cette hésitation, cette sensation de perte, de vertige, d'incertitude, qui a poussé le spectateur derrière moi à quitter la salle : « je ne supporte pas ce genre de film », murmurait-elle en se faufilant entre les sièges. Le film est traversé par une véritable sensation d'inquiétante étrangeté. L'angoisse s'insinue dans les objets les plus familiers. Mais le monstre reste tapis dans l'ombre, une ombre où se cristallisent toutes les peurs infantiles. Car le monstre, après tout, c'est l'adulte, c'est l'homme ou, pour mieux dire, l'absence de l'homme. C'est dans la forêt que vient se perdre la ligne de démarcation entre le réel et l'imaginaire. C'est dans cette infinie circularité que vient se perdre notre raison. Mais c'est aussi dans cette même forme que vient se perdre le récit, et le cinéma avec lui. L'image complaisamment se contemple elle-même. Le film tombe dans le piège qu'il a lui-même monté. Il devient une pure forme, l'ombre d'une ombre, un cercle vide, dont la perfection n'est qu'une apparence, le masque fastueux que le vide arbore avec prétention.

slalomeuse
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le 28 juil. 2018

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