Je reviens à la charge avec un nouvel épisode mastodonte sur le cinéma français en 1932 d'une durée exceptionnelle de 2h17 !!! C'est un peu parti en sucette, et j'y reviendrai.
l'épisode très riche en contenu (et donc généreux !) est disponible à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=LlhMEb1X2NM&list=PLtiKlhWO0HhUEXKZrZM8vpZbOLCsm87yq&index=4
La critique consacrée à Vampyr commence à la 39ème minute (lien direct ici), et constitue pour moi mon meilleur portrait (en tout cas celui qui m'a demandé le plus travail, et donné le plus de fil à retordre pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans cette chronique).
Pour rappel, il s'agit d'une série documentaire sur le cinéma français où un épisode = une année (en théorie), en commençant à l'année 1930, avec un "format" à peu près défini où l'on mélange constamment petite et grande histoire :
Une intro un peu bordélique qui part dans tous les sens - On parle d'un peu de tout (et moins de cinéma français que du reste), où il s'agit essentiellement de poser le contexte de l'époque, que s'y passe-t-il, comment vit-on, quelles sont les grandes actualités en France et dans le monde, et enfin que va-t-on voir en salles ? Bref il y a une volonté d'immersion dans l'époque plutôt que de vouloir à tout prix cadrer son sujet sur le ciné français stricto sensu.
Puis une série de portraits où l'on rentre dans le coeur du sujet :
- Film de l'année : en l'espèce "Vampyr" de Dreyer
- Gros plan sur un film : "Les croix de bois" de Raymond Bernard
- Film coup de coeur : "Boudu" de Jean Renoir
- Un réalisateur : Jean Renoir
- Une actrice : Gaby Morlay
- Un acteur : Raimu
Nous en sommes donc rendus à l'année 1932, et l'épopée commence à prendre forme, les pièces du vaste puzzle des années 30 sont en train de se combiner progressivement pour donner un résultat dont j'ignore encore complètement la teneur finale.
Dans ce projet j'avance au petit bonheur la chance, certes si initialement je suis le plan créé par les amis Denizor et Pphf dans leur ouvrage en préparation sur l'histoire du cinéma français, je m'en libère régulièrement pour adapter leur travail dans un format vidéo, le confronter à mes propres recherches et trouvailles (notamment au niveau des archives audiovisuelles) et à ma propre sensibilité (comme j'essaye de regarder la totalité des films dont il est question, j'ai un point de vue qui peut sensiblement différer de celui des auteurs de l'oeuvre première).
Autant le premier épisode était somme toute assez fidèle au projet de livre dont il est l'adaptation (et pas vraiment le choix car j'avais vu assez peu de films de l'année, hormis sur les portraits principaux évidemment), on s'en éloigne progressivement dans les épisodes 2 et 3 au fur et à mesure que je m'approprie l'univers, que je vois de plus en plus de films + les apports en archives. Par exemple dans l'épisode 3, la partie introductive n'a plus grand chose à voir avec le bouquin, idem pour les segments Vampyr/Boudu/Raymond Bernard/Gaby Morlay.
Mais le plus grand plaisir arrive lorsque je parviens à compléter les affirmations écrites avec des archives et des images que je déniche et qui viennent leur donner du poids.
Prouver par les documents
Par exemple : dans le cas de Jean Renoir, il y avait dès le départ dans l'ouvrage l'idée de son instabilité idéologique qui déteint nécessairement sur l'unité et la cohérence de son oeuvre. De l'anarchisme total, au communisme,aux positionnements ultra douteux, des négociations avec Pétain pour une bonne place dans le cinéma au tout début de la WW2, le passage par l'italie fasciste de Mussolini, avant le décollage aux US.
C'est très intéressant de le dire, mais c'est encore mieux quand on trouve des "aveux" du principal intéressé (qui explique qu'il faut suivre le courant de l'histoire / ou bien qu'il avait des opinions dont il a honte et qu'il pensait qu'il y avait des hommes supérieurs et inférieurs), des documents concrets qui en témoignent directement (par exemple la passionnante interview de l'historien Roger Boussinot qui explique que si Renoir avait été allemand, il aurait fait des films nazis comme tout le monde, qu'il n'avait pas de véritable conviction, et que son seul intérêt était de faire de l'art pour l'art à tout prix).
Les archives viennent donner du poids et de la valeur au récit qu'on s'attache à raconter. Alors ça demande beaucoup de boulot, parce que pour Renoir, au-delà de ses films qu'il fallait évidemment tous voir (ou revoir), il fallait se taper plus d'une vingtaine d'heures d'archives !
Et Renoir est un peu saoulant sur la durée, pendant 20h, je dois avouer que j'en pouvais plus, avec sa grosse voix irritante, mes oreilles étaient en passe d'imploser, alors pour faire passer la pilule, j'ai fini par l'écouter tout en jouant à Rayman Legends (je peux dire que j'en ai chopé des Lums).
C'est là que j'ai réalisé que le témoignage de Boussinot était véridique : Renoir adore parler de lui, c'est toujours du "moi moi moi moi", même si parfois il essaye de le cacher derrière un semblant de fausse modestie, il ne cesse de s'épandre, et c'est lourd sur la durée.
Comme il parle énormément, il en dit des conneries, il se contredit régulièrement . Par exemple dans une première archive, il explique qu'il faut suivre le mouvement général, et dans une seconde, il dit qu'au contraire le rôle de l'artiste est de précéder les mouvements, de faire autre chose que les autres. Et c'est tout le temps comme ça, c'est à n'y plus rien comprendre. Ben ça permet aussi de conforter le portrait que l'on dresse de lui : l'homme inconstant.
Et il est essentiel de se manger ce flot quasi ininterrompu, parce que le personnage commence à te rentrer dans la tête, tu le comprends peut-être un peu mieux, et surtout tu peux dénicher des éléments qui seront à ton sens essentiels (comme par exemple, cet extrait dans une obscure émission américaine où Renoir balance qu'il avait des idées de nazi, archive à côté de laquelle il me semble que tout le monde était passé - et bien si tu ne te farcis par la totalité de ces archives, et si tu n'es pas anglophone, tu ne la trouveras pas).
On ne regarde donc plus simplement une histoire racontée par bidule, nécessairement sujette à caution, mais un document renforcé par des éléments très concrets et crédibles qui se recoupent.
Mettre au même niveau les archives documentaires et la fiction
Dans cette logique de recoupage, je pense qu'il est très important de mettre sur un plan strictement équivalent la fiction et les archives. D'abord parce que les archives (donc l'histoire "réelle") et la fiction se complètent, s'éclairent mutuellement. Les films d'une époque en disent autant sur l'esprit de l'époque, que l'inverse. L'époque, le contexte, permettent également de mieux comprendre les films. Et j'en rajoute une couche avec les films postérieurs qui ne sont pas du tout de cette époque, mais qui racontent cette époque.
Et y a quelque chose de fascinant dans le fait de briser la frontière fiction/réel.
Par exemple dans l'intro de l'épisode 2, lorsqu'il est question de l'invasion de la Mandchourie par le Japon, on a plusieurs types d'images qui se succèdent et se complètent pour former une "réalité" indivisible :
- des archives documentaires avec des images du Japon en crise de l'époque, une photo du véritable général Ishiwara qui organise le coup-monté de l'invasion
- soudainement des images de Tintin et le Lotus bleu, où des détails (plus ou moins farfelus) du coup monté sont donnés
- Puis on se projette dans un extrait du film "Le Dernier empereur" de Bertolucci, de 1987 qui raconte les effets de cette invasion avec l'intronisation de Pu Yi en mandchourie, et où l'on découvre les vastes plaines du coin.
Donc en reliant des images de natures très différentes (sachant que parfois on a également des extraits de films de l'époque qui traitent eux-mêmes de l'époque), on peut raconter une histoire unique sans aucune forme de hiérarchisation.
C'est une convention de départ qui assume ouvertement l'artifice, et qui permet je pense de faciliter l'immersion dans l'univers en question. Et j'essaye régulièrement de donner de la valeur aux images de fiction, soit en montrant que les images d'archives peuvent être également tout aussi trompeuses ou mensongères, ou que les images artistiques ont parfois une proximité troublante avec la réalité (par exemple le split screen sur le roi d'Espagne Alphonse XIII, où d'un côté on voit une représentation en peinture conforme aux représentations classiques des monarques, et de l'autre le véritable roi qui s'enfuit de son pays, et où l'on constate que c'est exactement trait pour trait le même personnage).
L'absence de plan précis
J'ai eu des commentaires très sympas qui ont loué l'"érudition" des épisodes :
très érudit dans le bon sens du terme (pas chiant, on apprend plein de choses)
Mais en réalité, il n'y a aucune érudition (et c'est peut-être pour ça que ça passe mieux d'ailleurs, je ne pense pas qu'on sente derrière un type qui aurait la prétention de tout raconter avec autorité et certitude). Ce qui rend l'exercice passionnant, c'est que je découvre les choses au moment où je les raconte, avec une naïveté quasi complète, et j'essaye de restituer cette sensation, comme si on était projeté dans un univers qui nous fascine car il nous dépasse totalement.
Comme je l'ai déjà dit, je suis assez ignare en cinéma français dont je ne suis pas franchement le plus gros des fans (enfin surtout à partir de la nouvelle vague), qui plus est en cinéma des années 30 (enfin un petit peu moins maintenant^^). Mais l'avantage c'est que je n'ai pas de préjugés, ce qui permet d'éviter des lieux communs et de ressasser des idées reçues durablement installées.
Au-delà du plan de l'ouvrage de base, il n'y a aucune planification en amont. Les épisodes sont montés dans l'ordre du film, du début à la fin je déroule un fil sans savoir où il va me mener.
Alors certes il y a les unités qui segmentent les épisodes, et donc j'ai quand même une architecture générale qui me sert de parachute, mais pour le reste j'avance vraiment au pif.
Par exemple dans l'épisode 3, j'ai 38 minutes d'intro !!
J'avais absolument pas prévu cette durée délirante, mais plus j'assemblais des éléments entre eux, et plus l'intro grossissait, jusqu'à ce que cela devienne complètement hors de tout contrôle.
J'arrivais à 20 minutes de film, et il me restait une bonne dizaine de films à aborder ! Bref j'étais dans la merde... Mais en même temps, aucune envie de sacrifier les 20 premières minutes qui commençaient à trouver du sens dans mon esprit, à développer une certaine cohérence. Donc pas le choix, il fallait continuer. L'intro aurait pu durer 1h, j'aurais tenu bon, même si je perdais 99% des spectateurs.
Et sans le vouloir, je me rends compte que des ponts, des passerelles se forment naturellement d'un épisode à l'autre, ce qui renforce progressivement la cohérence de l'ensemble;
Par exemple, dans l'épisode 2, Marcel Pagnol parle des grands réalisateurs français de l'époque et en cite deux : René Clair (dont le portrait a lieu au premier épisode), et Jean Renoir (présentation de "la chienne" dans l'épisode 2, et portrait dans l'épisode 3).
Dans l'épisode 3, lors du portrait Jean Renoir (extrêmement exhaustif sur sa carrière des années 30, peut être même trop, du coup je grille un peu des cartouches pour les épisodes où je devrai par exemple reparler la Grande Illusion, ou de la Règle du jeu, donc il faudra trouver des angles pour apporter des choses différentes) : on retrouve Marcel Pagnol, puisque Renoir va utiliser ses équipes pour le tournage de Toni (D'où l'importance de montrer Pagnol et Renoir ensemble sur une même photo).
Dans l'épisode 2, le portrait sur Michel Simon qui bashe ses camarades Louis Jouvet et Gérard Philipe, et qu'on retrouve dans l'épisode 3 lors du portrait Raimu qu'il bashe également.
Tout finit par se recouper, les personnages s'évoquent entre eux, se croisent, s'éloignent. Et j'espère que progressivement ces types de liens vont se multiplier, parce que ça donne du poids à l'univers dépeint, et que ça colle parfaitement avec l'esprit d'une série où l'on suit les destinées de multiples personnages aux parcours complexes avec en ligne de mire l'année 1939 de tous les dangers.
Alors il y a du challenge pour éviter les répétitions, les redites. Pour l'instant je pense avoir évité l'écueil, même si je reparle plusieurs fois de la crise, ben la crise est toujours là, alors il s'agit à chaque fois d'en présenter d'autres aspects, d'autres conséquences, utiliser de nouvelles images découvertes par inadvertance; pour les films c'est pas toujours évident, puisque l'année de l'épisode n'est qu'un point de départ, et que régulièrement je n'hésite pas à plonger dans le passé, ou dans le futur.
Par exemple pour le portrait de Jean Renoir, je n'ai pas mis d'image d'"On purge bébé" et de "la chienne" (déjà présents dans l'épisode 2), et je me suis focalisé sur les films dont on n'avait pas encore parlés (donc les films postérieurs). Mais ça me grille nécessairement des cartouches pour la suite, puisque ce sont des films essentiels et qu'il faudra en reparler, donc il faudra apporter de nouvelles choses, enrichir le propos, trouver un nouvel angle (et l'ouvrage de base sera d'une grande aide évidemment).
Le défi Vampyr ##
Je mets régulièrement des notes dégueulasses aux films de l'époque que je dois voir (par exemple "Jean de la lune" est le deuxième pire film que j'ai vu de l'année - "Le sang d'un poète", "La fin du monde", "La nuit du carrefour", et "David Golder" sont juste derrière).
Et pourtant même quand je mets des notes dégueues, même quand je n'ai pris aucun plaisir, je trouve toujours des choses intéressantes ici ou là.
"La tragédie de la mine" de Pabst m'avait gonflé, j'avais trouvé le film trop sec, trop froid, trop mou.
Aucune musique, un réalisme complet pesant, bref j'avais passé un mauvais moment.
Et puis quand il a fallu faire des captures d'extrait, j'ai progressivement changé de point de vue. J'ai d'abord réalisé que les images étaient sublimes, que la mise en scène était extrêmement pointue (le flot de personnages qui s'activent tous azimuts, les décors gigantesques, la crédibilité des tunnels, on a vraiment l'impression d'y être), et que le propos était assez bouleversant (la camaraderie franco-allemande, et la conclusion redoutable où finalement c'est au niveau des chefs que tout se joue avec la reconstruction de la barrière qui rétablit la frontière entre les peuples, tout est raconté uniquement par l'image sans didactisme, et quelles images). Et peu à peu, j'ai trouvé le film tellement beau que je me suis dit qu'il devait faire l'ouverture de l'épisode 3, même si je n'y avais pris aucun plaisir lorsque je l'avais regardé, son propos était tellement raccord avec l'esprit ambigu de l'époque que je percevais qu'il en devenait essentiel.
De même pour "Vampyr", quand je l'ai regardé, j'étais extrêmement perplexe : ça le film de l'année ??
Nan mais qu'est-ce que je vais raconter avec ce machin où il ne se passe absolument rien, avec la vampire mamie de 90 balais, et le docteur maléfique en carton pâte ? Sérieusement ?
Je lui avais mis 6, mais c'était le genre de 6 qu'on mettait pour ne pas être trop méchant (alors qu'on pense soit que c'est pas notable, ou que ça mérite au mieux un 5 parce que c'était quand même un peu rude au visionnage).
Pas compris le projet, pas compris où ça voulait en venir.
Puis j'ai lu la critique de pphf (excellente au demeurant), et j'ai pas mieux compris. Donc j'étais dans la mouise.
Alors j'ai lutté contre moi-même, et je me suis replongé dans le film avec pour objectif de le comprendre, de le saisir, de m'y investir, même s'il me rebutait.
Et petit à petit, comme pour tout le reste, j'ai fini par m'en imprégner, et par le trouver superbe.
Je me suis intéressé aux à-côtés, à la carrière de Dreyer qui a totalement bidé à la suite de Vampyr (Dreyer dont j'avais détesté Ordet, et pour lequel j'avais un a priori négatif), à "la passion de Jeanne d'arc" et à ses images incroyables, aux autres films de genre de l'époque et au contraste absolu avec l'oeuvre de Dreyer.
Et là, les éléments ont commencé à se recouper, le film a commencé à me fasciner, et j'ai fini par le trouver totalement superbe (le final est hallucinant de beauté). Et j'ai essayé dans la mesure du possible de restituer tout l'intérêt que le film présente en tant que tel, et pour la carrière de Dreyer (on est vraiment à la définition du carrefour, entre cinéma muet et parlant, grands succès et régularités, échecs et rareté)
Malheureusement, quand on a tendance à "consommer" des films, à en regarder trop, et trop vite, sans prendre de recul, sans prendre la peine de s'interroger, on passe à côté de plein de choses. Et donc il est évident, que je sacrifie beaucoup de films pour ne pas avoir ressenti un plaisir rapide et immédiat, alors qu'ils méritent un temps plus long de digestion.
Quelques sources de motivation
Bon évidemment, dans ce type de projet, la motivation ne peut pas être de faire des "vues" ou d'avoir du succès.
En étant lucide, ça va être extrêmement compliqué, surtout lorsque je réalise que des gens sur ce site qui sont a priori des hypers cinéphiles, ont déjà beaucoup de mal à se motiver pour s'y lancer (ici les retours sont très rares, même chez des anciens, malgré l'intérêt notable de quelques camarades que je salue bien bas). Alors pour les autres, j'imagine même pas la difficulté.
On connait très bien les ingrédients de ce qui fonctionne :
De la quantité : sur senscritique ou youtube, ce qui importe c'est la quantité. Poster de nombreuses critiques régulièrement donne mécaniquement des vues, des éclaireurs/abonnés. C'est con, mais c'est comme ça. Par exemple je le vois quand je poste un épisode sur youtube, je gagne 30 abonnés d'un coup venus de nulle part, et après y a plus rien pendant 6 mois.
Donc ceux qui "réussissent", sont ceux qui postent tout le temps, avec tout ce que ça peut impliquer d'aliénation et de lourdeur. Perso je ne peux pas faire ça.
De l'actualité : Il faut parler d'aujourd'hui. Tout le temps, toujours. Être au taquet, sur le dernier film, la dernière série, même si c'est du osef total, et que ça n'a aucun intérêt.
Sur youtube c'est encore plus immonde : il faut parler d'actu et de POP CULTURE.
Autrement dit de Star Wars et des marvels.
Tu regardes les chroniques cinéma, ça n'est que ça en permanence.
Je voyais une vidéo d'un type dénommé "Poisson Fécond" il te fait une vidéo sur la rivalité Herzog/Kinski, et il est obligé d'introduire son sujet pour son public "vous savez fitzcarraldo c'est sorti dans les années 70, soit presque en même temps que le premier épisode de la saga star wars, les amis !!!"
Mais nique toi, sérieusement.
Plein le cul de la course à l'actu, de la hype, du lol factice, ce qui est motivant (pour moi en tout cas), c'est d'essayer d'aborder autre chose, de parler de trucs dont personne ne parle (sur youtube c'est le cas, vous ne trouverez pas un seul portrait sur Gaby Morlay - encore moins à la télé), sous la forme d'une histoire, d'un récit.
Pas sous la forme d'un témoignage de X ou Y où nécessairement on rejoint toujours l'anecdote.
Pour citer un autre exemple, je n'ai vu que des extraits assez courts du "Voyage à travers le cinéma français" de Tavernier, ben j'y arrive pas (même si à côté de ça je suis admiratif de l'ambition qu'il a pu avoir dans son très beau film de fiction "laissez-passer" sur la période du cinéma français durant la seconde guerre mondiale).
Au-delà du style excessivement classique que j'y perçois, je trouve qu'on reste adossé aux anecdotes/souvenirs/avis d'un bonhomme qui a certes compté pour le cinéma français, mais qui ne s'adresse finalement qu'à ses fans directs.
Un type qui ne connait rien au cinéma français, qu'est-ce qu'il en aura à faire de l'avis de machin chouette (qu'il ne connait pas de près ou de loin) sur son rapport aux films qui l'auraient personnellement marqué ?
C'est du osef total en fait.
J'avais bien aimé "Mon voyage en italie" de Scorsese, même si l'on gardait cet aspect personnel, Scorsese arrivait à le dépasser, et surtout ne se mettait pas en scène lui-même en restant tout du long en voix-off.
Mais là on touche un autre problème : on parle de films en racontant leurs histoires, est-ce qu'on ne prend pas le risque de gâcher le plaisir de ceux qui ne les auraient pas vus ?
C'est une question que je me pose, d'où l'intérêt que je vois à ne pas raconter les films de façon purement illustrative (du style machin a réalisé X, Y, Z), mais à essayer de les insérer au sein d'un récit plus global, à les manipuler, à les transformer, bref à leur donner un nouveau sens.
Dans le portrait Gaby Morlay, j'ai mis par exemple de longs passages du film "un revenant", mais ils ne sont pas là pour illustrer l'histoire du film, ces extraits sont "mis en scène" (pour ne pas dire "manipulés") pour raconter une histoire de Gaby Morlay (et pas "l'histoire" puisqu'ici il n'est question que d'une manipulation très subjective, d'un travestissement pour raconter une histoire plus globale, sur une femme, son vieillissement, son déclin, puis sa disparition - et pour cela il faut trouver des indices dans sa carrière, et constater par exemple qu'après avoir été LA star, elle se cantonne essentiellement à des rôles de mamies à la suite de la seconde guerre mondiale).
De même pour Raimu : Marcel Pagnol explique clairement qu'il écrit les rôles de Raimu spécialement pour lui. Il me semble donc pertinent pour résoudre la question de l'identité assez mystérieuse de Raimu en tant qu'acteur, mais également en tant que personne, de se fier à ses différents rôles qui contiennent une part profonde de lui (alors je décline différentes questions dans la succession d'extraits - la question de son intelligence, de son rapport à l'argent, de son génie d'acteur et de sa capacité à passer par toutes les émotions, ou de sa part plus méconnue dans les films d'autres réalisateurs que Pagnol - Il fait limite du Vito Corleone avant l'heure dans un excellent film comme "Ces messieurs de la santé"., et je parle pas du chef d'oeuvre "l'étrange monsieur Victor"..)
Il y a des motivations plus personnelles aussi, ça fait un paquet de temps que je ne racontais plus d'histoires en "film", depuis mon enrichissante expérience dans le machinima (films réalisés à partir de moteurs de jeux vidéo) durant mon adolescence, et forcément ça manque, c'est bien d'être un spectateur passif et d'emmagasiner des connaissances, mais y a aussi l'envie de redevenir actif, même en l'absence de moyens (bon en l'occurrence, des moyens j'en ai, rien qu'avec la monumentale collection de films dont je dispose).
Et puis l'expérience "Zardoz" avait été singulière et bien marrante.
J'avais eu ce projet de faire un remake complet du film de John Boorman en film d'animation, avec des idées farfelues, je me rappelle que je voulais que le personnage de Sean Connery soit poursuivi par un lion dans la jungle, avec des musiques d'Aphrodite's child et de Peter Gabriel. Bon ça avait foiré, il en restait plus que 6 minutes d'intro.
Mais ce qui était cool, c'était de partir de rien. Les décors, la tête de Zardoz, les costumes du film, rien n'existait, il fallait tout créer de toutes pièces ! Donc c'était un boulot considérable, et j'étais bien aidé pour cela par un camarade anglais.
Finalement à la clé c'était l'obtention du premier prix d'un jury dans un festival de machinima à Paris.
Mon mini film était projeté dans la gigantesque salle de la Gaieté lyrique devant près de 300 personnes.
Je me tapais des barres, parce que quelque part c'était un immense troll.
Mais ça fait un truc mine de rien.
Et puis dix ans plus tard je tombe sur des revues universitaires, des thèses et des articles qui font des analyses et mettent en perspective mon film (ou plutôt mon troll) de façon extrêmement sérieuse et 1er degré :
La participation à deux sessions du festival Atopic en France, dédié aux machinima, montre que le consensus n’est toutefois pas partagé par tous les participants. Le comité d’évaluation du concours de machinima de l’Atopic festival se compose de journalistes spécialisés dans le domaine des jeux vidéo et d’acteurs du monde culturel et de l’art contemporain. On observe une différence entre les arguments évoqués par les uns et les autres, les membres de commissions d’art contemporain jugeant favorablement les machinima faisant référence au monde de l’art, tandis que les participants du festival, notamment le premier prix de 201117, montre sa surprise pour avoir été primé sur une production sur laquelle il aurait passé une soirée, mais qu’il n’aurait pas intégralement terminée en raison d’une panne de son ordinateur: «j’étais tellement fatigué que j’ai lâché l’affaire»; il dit n’avoir aucune prétention artistique et montre qu’il n’a proposé qu’une reprise des premières minutes du film Zardoz des années 60.L’un des membres du jury, journaliste pour Chronicart, commente dans le magazine18: «Dans une vaste fusion foutraque encore, le grand gagnant de la compétition, KingRabitt, emploie toutes sortes de techniques informatiques, pour un remake bizarre et inquiétant, assez beau, du nanard historique de John Boorman, Zardoz (Sean Connery en slip de cuir rouge). Le lauréat provoqua l’hilarité de l’assemblée de la remise des prix, à la Gaité Lyrique (le 17 novembre), en doutant de la santé d’esprit d’un jury, prompt à récompenser un tel film, «fabriqué n’importe comment et pas fini19» (Axel Zeppenfeld). La manifestation de ce conflit interprétatif interroge les modalités de décodage et de codage des œuvres, puisque le machinima n’est pas interprété de la même manière par tous les publics.
Les discours tenus par les machinimakers ou les moddeurs reconnus – lorsqu’ils n’ignorent pas tout simplement la dimension artistique que certains prêtent à leurs créations – s’attachent également à construire une posture d’amateur. (...) Dans une perspective similaire, Georges et Auray (2012a : 8) mentionnent l’exemple de la réaction du machinimaker Kingrabbit qui, recevant le premier prix de l’Atopic festival 2011, a tourné en dérision cette tentative d’attribution d’une dimension artistique à son travail."
- J'espère trouver dans dix ans des articles qui pourraient me citer et dire des trucs du style :
Approche déconstructive du média dominant dans les milieux de la diffusion audiovisuelle. On note à la fin des années 2010, un premier mouvement à la fois post-moderne et contestataire dans les diffusions streaming sur les grandes plateformes d'hébergement, avec une logique d'affranchissement des codes habituels de recherche systémique des leviers usuels d'appréciation en masse du contenu.
Petit point sur le droit d'auteur
J'ai eu un petit souci sur le premier épisode au cours du mois de novembre, puisque le robot youtube dénommé "Content id" a scanné mon film et repéré l'extrait relatif à "Sous les toits de Paris", et a appliqué la règle voulue par l'ayant-droit à chaque fois que ce contenu est repéré sur la plateforme : le blocage dans le monde entier.
Donc l'épisode 1 a été bloqué environ 3 semaines.
Bon j'ai gueulé (de façon courtoise) à la fois auprès de Youtube et de TF1.
Et j'ai eu gain de cause. Parce qu'on a le droit d'utiliser des extraits d'un film dans le cadre d'une critique et d'une analyse (exception de courte citation - seul hic, il manque encore de belles décisions de cour de cassation dans le domaine de l'audiovisuel, mais ça ne manquera pas d'arriver).
Il existe d'autres exceptions jurisprudentielles initiées par la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) et par la Cour de cassation française :
- La liberté d'expression : Il y a un conflit entre liberté d'expression et protection de l'exclusivité du droit d'auteur. Evidemment on ne peut pas remettre en question le monopole de l'auteur en tout état de cause (enfin plus précisément le monopole de l'ayant droit de l'auteur, puisque depuis bien longtemps, l'enjeu du droit d'auteur n'est absolument pas de protéger les auteurs, mais de protéger les industriels qui ont bien souvent les mains libres pour faire un peu tout et n'importe quoi - comme faire signer des contrats abusifs / ne pas respecter leurs propres obligations vis-à-vis des auteurs, d'où de multiples procès auxquels il m'arrive de participer).
Mais il faut tout de même un certain équilibre. On peut se passer de l'autorisation d'un ayant-droit, et utiliser une oeuvre préexistante dans une nouvelle oeuvre, si l'oeuvre d'origine a été absolument indispensable et pas substituable par une autre.
Plus l'oeuvre d'origine est connue, et plus la liberté d'expression a vocation à jouer, car le public ne peut pas être trompé, il sait qui est l'auteur de l'oeuvre première, et l'auteur de l'oeuvre seconde se l'approprie sans ambiguïté.
C'est plus délicat lorsque l'oeuvre première est peu ou pas connue. Dans ce cas, le public peut être plus facilement trompé et peut penser que l'auteur de l'oeuvre seconde est également l'auteur de l'oeuvre première.
Et là on est en plein dedans avec "Sous les toits de Paris", puisque l'extrait qui avait été repéré était le plan séquence qui part des toits pour arriver sur Préjean qui chante au milieu de la rue.
L'extrait est essentiel, puisqu'avec l'arrivée du parlant, et des nouvelles contraintes techniques que ce changement implique, les mises en scènes deviennent très statiques et théâtrales. Mais René Clair lutte contre ça, et veut faire un véritable cinéma avec une mise en scène véritablement vivante. L'exploit est donc ici d'autant plus remarquable.
Donc il y a sur Youtube des outils qui sont excessivement en faveur des ayants-droit, et qui ne font aucune distinction entre ce qui relève clairement des exceptions légales et le reste.
J'ai rencontré un nouveau problème sur l'épisode 3, puisqu'il y avait un blocage mondial préalable par l'INA pour une interview, face caméra de Jean Renoir (+ une émission avec Bernard Blier). Donc pour pouvoir la maintenir, j'ai dû rajouter l'espèce de filtre dégueulasse que j'utilise de temps à autre pour palier à ce type de problème (à chaque fois pour éviter un blocage).
Et là y a un vrai souci sur la compréhension même du droit d'auteur.
Bon déjà au préalable, le fait que l'INA se soit fait automatiquement céder les droits de producteur sur toutes les archives antérieures aux années 80, c'est assez problématique (et je n'en dirai pas plus).
Mais le droit d'auteur protège ce qui est original. Or, excepté cas très particuliers, pour une interview face caméra, on a des tas de jurisprudences qui établissent clairement qu'il ne s'agit pas d'oeuvres protégées par le droit d'auteur, car dépourvues du caractère d'originalité. Après tout, il ne s'agit que d'une simple discussion face caméra, et il n'y a aucune raison qui justifierait qu'elle ne soit pas librement exploitable (d'autant plus si on y rajoute le cadre de l'exception de courte citation).
Et puis dans tous les cas le préjudice est nul (absence d'exploitation commerciale, aucune société de production qui derrière devrait demander des autorisations et encore, on devrait faire valoir l'exception de courte citation, par contre les autorisations sont obligatoires pour les musiques).
Voilà désolé de l'énorme pavé, mais ça fait bien longtemps que je n'avais pas posté de "critique" donc autant se rattraper !
Deux petits liens additionnels :
- La liste complète des extraits de films utilisés dans la série : https://www.senscritique.com/liste/Serie_documentaire_Il_etait_une_fois_le_cinema_francais_List/2353355
- La liste des musiques de l'épisode : http://kingrabbit.over-blog.com/2019/12/il-etait-une-fois-le-cinema-francais-episode-3-1932-liste-complete-des-musiques-utilisees.html