Vampyr prend place, aux côtés du Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922) et du Dracula de Tod Browning (1931), parmi les classiques vampiriques pré-Universal et Hammer.
Il s'agit d'une adaptation libre de deux nouvelles de Sheridan Le Fanu : Carmilla et L’Auberge du dragon volant. D’emblée, le film se distingue par une parenté évidente avec le rêve. Les dialogues sont réduits à leur portion congrue et la surexposition lumineuse donne aux images un caractère quasi irréel. Carl Theodor Dreyer fait montre, dans ce petit film, d’une authentique science du cadre et de conceptions graphiques très élaborées : les ombres, les décors, les accessoires y détiennent une importance capitale et contribuent à une composition des plans méthodiquement ordonnée.
Le pitch est relativement simple : un homme nommé Allan Gray s’installe dans l’auberge d’un petit village et reçoit bientôt une visite inattendue. Un vieillard lui confie un grimoire sur le vampirisme. Il s’agit d’un mal mystérieux, auquel notre héros devra bientôt se frotter. Ce postulat permet à Dreyer de creuser plus avant la symbolique chrétienne : résurrection, dichotomie entre le bien et le mal, rédemption se trouvent en effet au frontispice de Vampyr. Des images symboliques viennent par ailleurs marquer le travail de Dreyer : le faucheur, le passeur, la blancheur purificatrice de la farine ou les mécanismes dentelés du moulin constituent autant de motifs à double fond. Si le long métrage n’a rien de psychologisant, c’est avant tout pour mieux se ranger parmi les contes cauchemardesques, dont les jalons semblent s’y épanouir : un voyage risqué, un village maudit, un livre sacré, des mises à mort iconiques…
Techniquement, Vampyr est proprement bluffant. Dreyer nous gratifie d’une caméra ultra-mobile, de surimpressions, de jeux d’ombres, de travellings et même d’une somptueuse séquence en contre-plongée et vue subjective, où le spectateur est appelé à épouser le point de vue d’un mort dans son cercueil. Voilée et surexposée, la photographie de Rudolph Maté possède une portée onirique idoine. Quant aux personnages, ahuris, séminaux ou à contre-emploi, campés par des amateurs (si ce n’est Maurice Schutz et Sybille Schmitz), ils confèrent tous un charme discret au métrage. En définitive, si Vampyr fut un échec commercial, il n’en demeure pas moins, plus de quatre-vingt années plus tard, un film emblématique du cinéma vampirique et l’un des chefs-d’œuvre personnels de Carl Theodor Dreyer.
Sur Le Mag du Ciné