J'aime beaucoup aimé ce film testamentaire, le dernier film d'un très grand cinéaste, d'une femme admirable et dont j'estime beaucoup le travail, même s'il y a certains films de Varda que je n'aime pas vraiment (comme Kung-fu Master, ou Daguerréotypes). Ce film est beau... car c'est tellement beau de voir un réalisateur, un artiste même, faire le point, faire le bilan de sa carrière artistique, le bilan de toutes ses créations, alors qu'elle est à l'aube de sa mort. Il y a une très grande humilité chez Varda, et beaucoup de sensibilité et d'amour... Car Varda est un cinéaste de l'amour. Et puis, de manière générale, voir les artistes parler de leur art, c'est toujours intéressant, j'avais adoré le documentaire de Chris Marker sur Tarkovski, j'avais également trouvé celui sur Kurosawa intéressant (toujours de Chris Marker), et j'adore le documentaire de Herzog (Ennemis intimes) qui revient sur sa relation avec Kinski et sur les films qu'ils ont pu faire ensemble.
Car ici, comme dans les deux documentaires de Marker, nous sommes plongés dans le processus créatif de Varda. C'est surtout de cela qu'elle parle. On y apprend beaucoup de choses certes, mais surtout c'est passionnant de voir la genèse ce certains films, toute la créativité de Varda (elle insiste beaucoup sur l'inspiration du cinéaste). La genèse de Cléo de 5 à 7 notamment. Varda nous explique comment elle est arrivée à l'idée de faire un film un temps réel. Et c'est assez trivial à l'origine, c'était une question de moyen, il fallait faire un film à Paris, peu coûteux, et l'idée lui est alors venue d'un coup, par l'inspiration justement, l'idée surgit d'elle-même. Et c'est alors que Varda arrive à mêler le temps objectif (le temps de la pendule) au temps subjectif, qui est l'objectif premier du film finalement.
Quand elle parle de son autre grand succès de sa période Nouvelle Vague, Le Bonheur (qui est certainement mon film préféré d'Agnès Varda), c'est également passionnant. Tout ce lien avec les impressionnistes (du Pialat avant l'heure quelque part), cette idée d'ajouter du bonheur au bonheur... Finalement, l'amour est-il exclusif ? C'est la grande question du film. Et Varda, même en nous parlant du film, de son processus créatif, ne répond pas à cette question, et heureusement d'ailleurs, le film en perdrait toute sa puissance.
Car ce film est plus un film sur le processus créatif de Varda que sur ses films en eux-mêmes. Cela donne forcément des clés de lecture intéressantes, de la même manière que Marker nous offrait des clés d'analyse du cinéma de Tarkovski, qui était lui aussi au crépuscule de sa vie... Mais le film de Varda est plus intimiste ; il est en cela beaucoup moins cinématographique que le documentaire de Chris Marker, même s'il y a parfois quelques jolies idées de Cinéma. Mais globalement, c'est assez trivial ; Varda se met en scène, et elle est à la fois le réalisateur du film et la conteuse. J'aime beaucoup le rapport que Varda peut avoir avec les différents lieux qui ont comptés pour elle... Ca se ressent beaucoup dans la majorité de ses documentaires (Daguerréotypes en l'est l'exemple parfait, mais même Visages, Villages le montre). Et ainsi, le film arrive en plus à être touchant. Cette importance du lieu chez elle traduit une certaine forme de nostalgie qui semble hanter Varda... mais une nostalgie parsemée de joie comme de tristesse. Ce sentiment presque indicible où l'on ressent à la fois une certaine jouissance et une certaine mélancolie en repensant aux moments les plus marquants d'une vie, qu'ils soient heureux ou malheureux. Souvent, dans le malheur, cette jouissance se mêle un peu à la profonde tristesse que nous pouvons ressentir. Ce sont des sentiments très durs à décrire.
Après, ce film est-il nécessaire pour comprendre l'oeuvre de Varda ? Non je ne pense pas. C'est plutôt un complètement de son oeuvre. Heureusement qu'elle privilégie le processus créatif de ses films, ou sa vie à elle, plutôt que les films en eux-mêmes. Mais on peut néanmoins reprocher au film un côté un peu trop explicatif, un peu trop didactique, et c'est d'ailleurs en cela que je trouve qu'il s'agit d'un des films documentaires les moins cinématographiques. Après, ce côté didactique permet au film d'être attrayant tout le long. Et Varda n'est pas exclusive quant à la manière de percevoir son oeuvre ; car en soi, elle n'explique pas ses oeuvres, seulement leur genèse, leurs intentions.
Je dois avouer avoir été un peu moins intéressé par la seconde causerie, même si j'aime beaucoup quand elle revient sur Les glaneurs et la glaneuse, sur la patate en forme de coeur, et sur la manière dont elle appréhende le cinéma documentaire. Après, ça reste intéressant tout de même, elle parle notamment de beaucoup de travaux que je ne connaissais pas. Mais j’ai trouvé ça moins prenant que la première causerie, peut-être parce que je connais mieux la Varda du XXe siècle que celle du XXIe siècle (vu que les deux causeries sont associées aux XXe et XXIe siècles). Mais quoiqu'il en soit, ça donne forcément envie de découvrir certains films que je n'ai pas encore vu d'elle, ça nous plonge dans un esprit de découverte. Par exemple, ça m'a profondément donné envie de voir Jacquot de Nantes !
C'est en soi un beau film, quelque peu inégal, pas forcément nécessaire, mais beau et authentique. Le témoignage d'une femme de près de 90 ans, qui a rencontré tant de gens, qui a été si importante dans le paysage cinématographique français (et même mondial), c'est forcément poignant. D'autant plus que Varda est l'un des cinéastes qui s'est le plus rapproché de ce qu'est véritablement la France ; elle est une femme qui s'intéresse véritablement au peuple, aux gens je dirais même ! Elle est une grande philanthrope : elle aime les gens, et c'est en cela que Varda est pour moi un cinéaste de l'amour. L'amour d'autrui... Et l'amour-passion qu'elle voue à Jacques Demy, puisque Demy hante une grande partie de son oeuvre du XXIe siècle. Et la fin est de toute beauté, elle est à couper le souffle, notamment quand on sait que Varda est décédée juste après la sortie du film.
« Je vous quitte » dit-elle pour conclure… Et Varda nous a effectivement quitté. Mais ses oeuvres, elles, resteront éternelles.