- Enlève ses lunettes, en mordille légèrement l'une des branches et prend un air absorbé avant de prendre la parole
"Ahem, le questionnement du rapport à l'art soulevé ici est fascinant, dans l'idée que chacun y trouve ce qu'il cherche et que la réponse apportée lors de la confrontation à l'oeuvre est inéluctable, brutale et sans compromis. C'est un monde en déliquescence, parsemé de sursauts de vie alors que le corps est déjà moribond. C'est tellement rafraîchissant..."
C'est peu ou prou ce que dirait le personnage de critique d'art contemporain incarné par Jake Gyllenhaal en regardant son propre film.
Le premier tiers du film est absolument génial: des personnages truculents, cyniques, désabusés par leur métier et leur rapport à l'art ("Critique is emotionnally draining" dira Morf, aka Jake Gyllenhaal, complètement en roue libre) et obsédés par la valeur marchande des oeuvres. C'est une joie de voir les acteurs s'amuser du ridicule précieux de ces tyrans dont l'autorité n'est basée que sur leur propre vanité. La mise en scène marche très bien également (j'adore les plans champ/contrechamp qui filment les acteurs en train de regarder une oeuvre et de la décrypter).
Là où je trouve que le film perd un peu de sa superbe, c'est dans la transition vers le pan horrifique de l'histoire. L'idée est par ailleurs très sympa (très très léger spoiler):
L'art d'un artiste fou donne vie aux oeuvres d'art qui l'entourent et leur donnent l'envie de tuer. Personnages de tableaux, sculptures, installations deviennent alors des agences de mort et de chaos.
L'inversion de la relation entre critique (ou galeriste) et oeuvre d'art est assez drôle d'ailleurs: là où le critique a pouvoir de vie ou de mort sur l'oeuvre (et l'artiste) par l'écriture de quelques mots, les oeuvres d'art prennent ce pouvoir (littéralement) lorsqu'animées par la proximité avec l'art maudit. Mais la tension reste assez superflue dans ces moments, et j'ai parfois eu du mal à entrer dans certaines des scènes "d'art animé". Le caractère symbolique de ces scènes marche également plus ou moins bien.
(Méga gros spoiler)
La scène de meurtre de la galeriste jouée par Rene Russo marche à fond: Elle vide sa maison de tout art pour éviter de se faire attaquer, mais oublie son tatouage... en forme de scie circulaire. C'est ce qui s'appelle avoir l'art dans la peau. Et montre le côté inéluctable de la malédiction.
Par contre, la mort du personnage de Tom Sturridge est plus ridicule qu'autre chose.
C'est un milieu vain qui est décrit ici et c'est un plaisir de voir ces personnages amoraux se convaincre de l'importance de leur existence et être confrontés à un juste retour de bâton. Cependant, à force de montrer leur vacuité et le vide dans leurs motivations, le film se perd un peu dans sa seconde moitié et collecte les scènes de carnage sans en tirer grand chose. Ce qui est dommage: J'aurais bien aimé voir ces gens souffrir un peu plus et un peu "mieux". Car finalement, les monstres les plus affreux de l'histoire sont ses protagonistes. Et rien que pour ça, le film vaut bien un visionnage.