Sous les eaux
Alimenter une longue liste des navets ce n'est pas donné à tout le monde, et cela semble réellement être une chose qui tient à cœur à l'acteur Benoit Poelvoorde. Celui-ci depuis le début de sa...
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le 23 mars 2020
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Le fait est connu : les meilleures comédies sont celles qui enfouissent, sous la surface du rire et de l’amusement, une dose suffisamment généreuse de profondeur, voire de délicatesse. Cahier des charges parfaitement rempli par Ivan Calbérac, qui adapte ici, pour son cinquième long-métrage de cinéma, son roman et sa pièce de théâtre éponymes.
L’argument est simple : des parents hors-normes, Annie et Bernard Chamodot, décident d’accompagner jusqu’à Venise leur fils de quatorze ans, amoureux d’une jeune musicienne qui doit donner là-bas un concert, sous la direction de son père, chef d’orchestre tyrannique et méprisant. Tous les ingrédients de la comédie se trouvent réunis. Avec un couple parental incarné par Valérie Bonneton et Benoît Poelvoorde, on peut s’attendre à ce que la séquence road-movie, lestée d’une caravane tout droit tractée du siècle dernier, et drivée par un M. Chamodot croassant à tue-tête ses chansons préférées, abonde en mésaventures loufoques et désopilantes, depuis le traitement administré au moteur en surchauffe (et aux passagers par la même occasion...), jusqu’à la prise en charge inattendue d’un motard malheureux et sympathique... Les décors de Sylvie Olivé et les costumes de Charlotte David, saisis à l’image par Vincent Mathias, arborent des couleurs pimpantes, que l’on pourrait croire, elles aussi, tout droit venues de l’optimisme des années 60. Un ensemble tout juste nuancé par les scènes spécifiquement vénitiennes, tournées dans le royaume de la délicatesse et de l’esthétisme.
De même, la veine comique n’est pas la seule à irriguer le film, qui se voit également traversé par des questionnements plus subtils. Le visage, étonnamment mobile et expressif, du jeune Hélie Thonnat, prête une vie grave et délicate, « romantique », comme il le revendique, à la radicalité d’un premier amour. La sensibilité et le tact (par moments !...) avec lesquels le secondent ses parents dans sa tentative d’une construction amoureuse rappellent la difficulté de la tâche parentale et de son juste positionnement. Par ailleurs, la profonde originalité de ces aînés, leur vie dans une caravane, dans l’attente de bâtir une maison de plus en plus hypothétique, le triporteur affiché « bio » de la mère, le tai chi à demi nu pratiqué par le père, les cheveux de leur enfant obstinément teints en blond, leurs manières directes et déroutantes soulèvent l’une des interrogations les plus riches de ce long-métrage : pourquoi, chez l’adolescent, cette honte presque systématique des origines, ce désir de passer au rabot toutes les aspérités qui font leur singularité, pourquoi tout ce temps nécessaire afin que l’enfant, devenu grand, parvienne enfin à les aimer, voire les revendiquer, en être fier ? Autrement dit, la construction de soi, loin de reposer sur le seul vecteur de l’affranchissement, comme c’est souvent clamé, ne passerait-elle pas, provisoirement, par un retour aux sources et vers ce que l’on croyait devoir fuir ? Un retour qui permettrait de se débarrasser de cet affolement de « normalité » qui taraude les adolescents, pour le mener à mal ou au contraire tenter désespérément de s’y conformer. Une question superbement réglée par la déclaration finale du personnage de Benoît Poelvoorde : « Mais qu’est-ce que tu t’imagines ?! Les gens normaux n’existent pas ! ».
Intégralement absous par ce salutaire constat, Emile, le jeune héros, et, à son image, les spectateurs de la salle, vont pouvoir reprendre plus bravement le cours de leur vie, la tête haute. Et, de même qu’il est secondaire que Venise soit, ou non, en Italie, peut-être découvriront-ils que Londres n’est pas irrévocablement en Angleterre : si Pauline, l’amour d’Emile, y a déménagé, peut-être Londres se révèlera-t-il tout à côté d’on ne sait encore quelle ville française...
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Créée
le 10 mai 2019
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