L’effet Solo, le paradoxe de l’indulgence relative

APRÈS SÉANCE


Après avoir été plus ou moins emballé par le projet, après avoir été refroidi par les affiches, teasers et bandes annonces, après avoir lu, vu ou entendu tout ce qu’il y avait à lire, voir ou entendre sur Venom (et majoritairement de négatif), après avoir même tout simplement hésité à me rendre au cinéma, j’ai finalement été voir ce film tant décrié avec une volonté plutôt masochiste : voir un mauvais film qui va bien m’énerver.


Eh bien, je suis déçu de ne pas être plus déçu… Ce n’est certes pas un très bon film, mais à l’instar de Solo : A Star Wars Story, je m’attendais à bien bien pire ! Venom a ses défauts, tant sur le fond que sur la forme, mais ne mérite peut-être pas toute la m*** qu’il se prend dans la tronche. Début novembre, c’était 35 sur Metacritic, 1,9 en note Presse sur Allociné et 4,9 sur SensCritique. Des notes bien excessives, similaires à celles attribuées aux Quatre Fantastiques ou à Ghost Rider ! Je ne vais pas pour autant me faire l’avocat du diable, il y a pas mal de défauts, des choses moyennes et peut-être même quelques trucs intéressants.



SUR LE FOND : 5,5 étoiles



Eddie Brock (Tom Hardy) est un journaliste d’investigation qui fait dans le sensationnalisme, une sorte d’Elise Lucet mais qui s’attaque à Life Foundation à San Francisco au lieu du Lidl de Montluçon (oui oui il y a bien un Lidl à Montluçon, j’ai vérifié). Cette société a des activités diverses allant de la recherche médicale à la conquête spatiale (je parle de Life Foundation là, pas de Lidl). Bref, suite à un gros coup de chance spatiale, Life Foundation et son dirigeant le Docteur Drake (Riz Ahmed) vont récupérer des symbiotes extraterrestres et mener des expériences sur eux, ou plutôt sur les hôtes humains qui sont destinés à les accueillir. Dans sa quête de vérité, Eddie Brock va alors infiltrer le laboratoire de Life Foundation et se faire infecter par un des symbiotes : Venom.


Et là, les fans de comics, les amateurs de pop culture et même celles et ceux qui ont vu Spiderman 3 se demandent : Mais il est où Spiderman ? Eh bien on touche là le principal et le plus évident problème de Venom : son traitement égocentré et isolé, privé de toute sa mythologie. Au revoir New York, le Daily Globe, Peter Parker… L’origin story de Venom va être totalement réécrite non pas par liberté créative mais pas obligation contractuelle (on y reviendra un peu plus bas…). En soi, pourquoi pas ? Après tout, on annonce bien un film centré sur le Joker, réalisé par Todd Phillips avec Joaquim Phoenix en rôle-titre sans Batman me semble-t-il. Et celui-là, pour le coup, je l’attends avec une bien plus grande impatience. Non vraiment, sur le principe, pourquoi pas. Mais en réalité, l’absence de l’homme-araignée est très dommageable au film car il a obligé les studios Sony à 1) Sortir du placard un des méchants plus inintéressant possible ; 2) Etirer une « intrigue » secondaire avec le symbiote Riot dont on se serait bien passé ; 3) S’assoir sur la cohérence scénaristique du film. Venom est d’abord une menace, puis un anti-héros et enfin un héros. En soi, les retournements de situation et les prises de conscience ne sont pas prohibées mais là, on va dire que c’est fait avec la subtilité d’une tractopelle.


Dans les comics, Eddie Bock et le symbiote ont à la fois une nécessité vitale réciproque de s’allier et un objectif commun. Brock est atteint d’un cancer dont le symbiote se nourrit pour survivre, permettant à Brock de guérir, c’est ce qu’on appelle une symbiose. De plus, Brock et le symbiote nourrissent dans les comics une haine commune à Spiderman. Le premier pour avoir révélé le caractère mensonger d’un de ses articles ayant conduit à son licenciement, le second pour l’avoir rejeté. Retirez Spiderman et vous perdez naturellement ces motivations formant le noyau dur de la relation Brock/Symbiote. Des alternatives étaient possibles, si tant est qu’elles soient cohérentes. Malheureusement dans Venom, cette alchimie n’existe pas. Brock n’a aucune motivation à rester infecté par le symbiote, il va même chercher à s’en défaire au 3/4 du film, et le symbiote n’a aucune raison de s’attacher à Brock, surtout après ladite trahison. Ça ne fonctionne pas, ce passage d’anti-héros à héros est fait avec le cul. A moins que les réponses soient dans les 40 minutes de rushs qui ont été coupées au montage…



All right, fuck it, let's go save the world.



Bon, faisons le deuil d’un Venom ancré dans sa mythologie, cohérent et intéressant. Que nous propose Ruben Fleischer ? Eh bien le film semble jongler avec différents tons. Il s’ouvre sur une ambiance horrifique, plan sur les étoiles et musique inquiétante (j’étais jusque-là emballé). Venom va ensuite être tantôt un film d’action, tantôt un buddy movie, tantôt une comédie, donnant lieu à des moments de profonde gêne (notamment les scènes du poulet sorti des poubelles et de l’aquarium de homards…). Faut-il y voir une volonté de représenter la « schizophrénie » d’Eddie Brock par l’utilisation de différentes tonalités ? Je ne pense pas, mais je préfère le voir comme ça. Après, même s’il fait preuve de grandes faiblesses, le scénario est somme toute assez banal mais relativement efficace. Notamment le premier acte (avant qu’il y ait Venom) qui m’a particulièrement plu.


Parce que Tom Hardy est un acteur que j’apprécie, sans non plus y vouer un culte. Mais il semble ici bien loin de son incroyable prestation de Mad Max : Fury Road. Et lorsqu’il devient infecté par le symbiote, les choses se gâtent et ne fonctionne pas du tout personnellement. Je suis en désaccord avec les personnes qui disent que Tom Hardy sauve le film. Il le sauve peut-être d’un four au box-office, mais sur le fond on aurait pu garder Topher Grace, cela aurait été pareil…


Faute de Spiderman, Venom passe donc de l’autre côté de la force. Et faute d’un vrai méchant comme Carnage PAR EXEMPLE qui serait beaucoup trop violent pour le référencement PG13, nous avons droit à une caricature pakistanaise d’Elon Musk manquant cruellement de développement. En soi, ce genre de méchant froid, assez raffiné et habité par un dessein qui le dépasse, fait probablement partie de mes archétypes de vilain préféré, mais c’est dans Venom hyper survolé. Et la faible originalité est totalement balayée au troisième acte lorsque les scénaristes ont décidé de combiner Drake et Riot pour former la Némésis maléfique de Venom (maléfique + maléfique, ça s’annule non ?). Déjà vu, revu et re-revu. Hulk avait eu l’Abomination, Iron Man avait eu Iron Monger et récemment Black Panther a eu Killmonger.


Je balaye les personnages secondaires comme le vent balaye les feuilles mortes, tellement ils sont osef au possible. On a une scientifique qui tente de se racheter une conscience, ainsi qu’un vigile latino-américain et une gérante asiatique de supérette qui doivent cumuler à eux deux environs 4 minutes de film. Ah et puis, on a l’ex-femme d’Eddie Brock, Anne Weying (Michelle Williams) qui ne sert qu’à faire du fan service pendant 3 secondes en montrant She-Venom…



Karma is a bitch.



En parlant de She-Venom, cela permet de mettre en exergue les facilités scénaristiques surexploitées concernant la compatibilité humain/symbiote dans le film. En même temps, il faut que la correspondance soit rare afin de justifier les essais de Life Foundation et la prise de conscience de Dora (Jenny Slate), autant c’est bien pratique qu’Eddie et son ex-femme soit 100% compatible avec le symbiote pour faire avancer le scénar… De la même manière, Riot ne semble pas trop galérer pour trouver humain à sa pointure. Ce n’est pas parfait donc, très loin de là, mais je m’attendais en réalité à bien pire. Le long premier acte est assez satisfaisant, mais ça décline ensuite au fur et à mesure que les minutes passent jusqu’à atteindre la nullité lors de la bataille finale dégueulasse. Parlons forme justement !



SUR LA FORME : 5 étoiles



Venom est moche, poussif et sans âme. Un peu comme son projet en réalité qui date de plus de dix ans ! En 2002, Sony redore le blason des super-héros avec Spiderman de Sam Raimi, apprécié jusqu’à en faire deux suites. C’est en 2007 que les choses se gâtent. Apprenant que la Fox souhaite faire un film spin-off sur Wolverine (qui deviendra ce que l’on sait…), Sony se projette également dans l’univers étendu : le Spiderverse. Un spin-off sur Venom est donc imaginé et le vilain va être inséré aux forceps dans le scénario de Spiderman 3 jusque-là centré sur l’homme-sable. Cette intrusion déplait fortement à Sam Raimi, et lorsque cela se reproduit à la pré-prod de Spiderman 4, il quitte le projet forçant Sony à rebooter la licence en 2012 avec The Amazing Spiderman. Ce film et sa suite, The Amazing Spiderman : Le destin d’un héros déçoivent et forcent Sony à rebooter de nouveau la franchise mais cette fois-ci, en laissant d’autre faire le travail.


En 2015, Sony signe un accord avec le bankable Marvel/Disney pour louer les droits d’exploitation de Spiderman pour quatre ans contre l’intégralité des bénéfices du film, Disney gardant les goodies. Pour des raisons que j’ignore encore, Spiderman : Homecoming est un succès donnant juste ce qu’il faut de visibilité au Spiderverse pour relancer le projet Venom en surfant sur l’ambiguïté MCU/pas MCU, Spiderman/pas Spiderman… Le film Venom est le fruit de tous ces échecs et de ces deals. Le pire, c’est que Sony récupèrera les droits de l’homme araignée en 2019 sauf renégociation. Donc à six mois près, Sony aurait pu proposer aux fans un vrai bon film avec Venom et Spiderman mais vous comprenez, les thunes…


Le film est donc à l’image de son projet et Venom est une belle allégorie de la relation entre Marvel et Sony, ce dernier se nourrissant de son hôte pour prospérer et développer une tribu de personnage secondaire sans grand intérêt. Car nous vivons là la naissance du SUMC, le Sony’s Universe of Marvel Charaters ! Emotion. A ce titre, un deuxième spin-off du Spiderverse est (ou était) prévu : Morbius avec en rôle-titre Jared Leto… Il y a même déjà un réal dessus : Daniel Espinosa à qui on doit Life, un autre film de créature visqueuse de l’espace. La boucle est donc bouclée.



Eyes ! Lungs ! Pancreas ! So many snacks, so little time !



Bref, c’est dans ce contexte que Ruben Fleischer a reçu une enveloppe de 100 millions de dollars pour réaliser Venom. Fleischer qui n’a pas fait grand-chose à part Bienvenue à Zombieland que beaucoup considère comme ultra-culte, moué admettons. Il signe ici un film assez banal, bien loin du potentiel transgressif de Venom. Visuellement, la photographie est plutôt bien maitrisée même si c’est souvent baigné dans un filtre bleu grisâtre. Si seulement il n’y avait que ça comme problème, les effets spéciaux… C’est moche, MES DIEUX QUE C’EST MOCHE ! Dès le départ, dès la scène où le vaisseau spatial entre dans l’atmosphère et s’écrase dans la forêt malaisienne, tu le sais. Tu sais que cela va être moche. Et puis, ça se confirme lorsque Venom apparait…


La première scène d’action est plutôt bien faite, celle dans l’appartement. Les capacités de Venom sont bien utilisées, c’est lisible et vraiment efficace. Les autres scènes d’action ne sont qu’une soupe de CGI mal foutus. La course poursuite en moto et bien bien trop longue et est directement désamorcée par le début de la bromance entre Eddie et le symbiote au pied du Golden Gate Bridge. Et je ne parle même pas de la bataille finale sur la rampe de lancement de la fusée qui est tout simplement dégueulasse et illisible. Alors oui, c’est un costume bien plus fidèle aux comics que celui de Spiderman 3 mais cela reste de la CGI sans performance capture bien dégueu. Beurk.


Après, tout n’est pas horrible non plus, même si des effets de ce genre en 2018 c’est plutôt dommageable. Déjà, le rythme du film est bien maitrisé. Malgré une durée plutôt longue (1h52), il n’y a pas de temps morts. Toutefois, comme le premier acte est très long (près de 50 minutes à mon avis), le reste du film se doit d’aller à fond la caisse pour boucler dans les temps. Exit donc le développement des personnages, les raisons qui auraient pu expliquer le revirement de Venom, tout ça, tout ça… Et puis dernier point, la bande son de Ludwig Göransson est efficace même si elle n’est pas la plus originale et le titre éponyme d’Eminem fonctionne bien.


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON (après hésitation)



NOTE TOTALE : 5 étoiles



Petit paragraphe post-credits… Et c’est peut-être ce qu’il y a de pire dans ce film. On parle toujours de la première intuition etc. mais dans un film, les dernières minutes de la séance sont essentielles car elles vont peaufiner notre avis. Et dans ce domaine, Venom se chie complètement. Déjà avant même les post-credits, la dernière scène est ridicule, hypocrite et incohérente. Ridicule car le symbiote (qui a survécu au feu lui…) est relégué au statut de coach matrimonial et cela fait de la peine. Hypocrite parce qu’après Eddie Brock retourne dans la supérette et fait ce qu’on attendait depuis le début du film : il bouffe la tête du méchant mafieux ! Plan suivant, il quitte la supérette sans aucune trace de sang derrière lui, sans corps, que dalle. JE T’EMMERDE PG13 ! Incohérente enfin parce qu’il faut m’expliquer pourquoi Eddie Brock se refuse de révéler à son futur-ex-ex-femme qu’il possède encore le symbiote en lui mais ne se cache pas à faire son spectacle devant la gérante de la supérette ? Il faut d’ailleurs souligner son sang-froid après avoir vu un alien croqué la petite tête d’un homme devant elle : Eddie, est-ce que ça va ?


Les scènes post-credits maintenant (big up aux courageux qui auront lu jusque-là). La première est probablement la pire jamais faite, tout Marvel, tout studio confondu. Woody Harrelson en perruque orange qui nous fait un mauvais remake d’Hannibal Lecter (le talent en moins). Ouuuuuh, il a dit le mot CARNAGE, c’est supeeeer ! Et la seconde scène post-credits est un extrait (pas le meilleur j’espère) du futur Spiderman : New Génération. Les gens auront fini par tout voir avant même la sortie : une scène par-ci, 40 minutes au ComicCon… Après le lynchage qu’a subi Venom, ça flippe au Japon...

Spockyface
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le 9 nov. 2018

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