Vénus noire par d4rkOblomov
En sortant de la salle de cinéma, une spectatrice commentait le film en disant ceci "sous prétexte de vouloir dénoncer le voyeurisme de ces hommes le réalisateur fait exactement pareil en nous montrant des trucs horribles pendant 3h".
Le film va plus loin que ça mais l'idée générale est là, dans Vénus Noire Kechiche ne fait pas preuve de manichéisme (les gentils humanistes voulant la défendre en ne voyant en elle qu'une gentille sauvage manipulée et soumise vs les méchants forains qui l'utiliseraient pour amasser de l'argent comme une esclave - d'ailleurs le procès est une scène très savoureuse qui nous montre combien la HALDE et le MRAP ont toujours existé...) MAIS le problème de ce film, ce qui m'a mis mal à l'aise durant toute la séance, c'est que Kechiche accuse tout le monde. Nous sommes tous coupable du regard que nous portons sur l'Autre.
Qu'il s'agisse d'aristocrates libertins, des soulards et des miséreux des bouges londoniens, d'éminents scientifiques instruits, des femmes de la haute société parisiennes; tous humilient la Vénus dès qu'ils la regardent. Le regard que la pauvre femme porte sur elle-même ("i'm acting" sa revendication d'être une actrice et de prétendre être autre chose qu'un corps exhibé) est d'ailleurs encore un regard accusateur, car à coup de longues (très longues) scènes, répétées une, deux voir trois fois, le réalisateur ne fait que répéter ce très sombre constat : il n'y pas de victime, il n'y a que des bourreaux.
Saartjie est comme aveuglée par son désir de gloire et d'argent, elle ne se révolte pas, elle attend et elle boit pour supporter son calvaire, on ne s'attache jamais à ce personnage au regard vitreux, on assiste à sa soumission et le seul sentiment que l'on ressent pour elle c'est de la pitié. Pour les mêmes raisons, la naïveté imbécile des humanistes énerve, l'obscenité des libertins nous soulève le coeur, le racisme et le mépris des scientifiques sidère, la déchéance progressive de Saartjie est presque un soulagement tant on est convaincu que cette femme sera toujours humiliée dans cette société occidentale qui n'est pas faite pour elle et dans laquelle elle n'a donc logiquement aucune chance de trouver sa place. Elle meurt et on se demande pourquoi elle a quitté le Cap, pourquoi elle n'est pas rentrée chez elle en voyant que le monde, ce monde, n'était pas fait pour elle ?
Bref, c'est un film lourd, qui épuise et rend un peu nauséeux. Kechiche, fidèle à sa subtilité d'éléphant nous épuise et la répétition des mêmes scènes, leur étirement, nous lessive au bout de ses 2h40. Je n'ai pas vraiment apprécié ce film, je crois que c'est impossible de l'aimer tant il cherche à nous mettre mal à l'aise et à nous remettre en cause a tout prix. Néanmoins la réalisation est très maitrisée, avec d'excellentes scènes (le procès, l'ambiance des tripots de Londres, le ridicule des aristocrates parisiens, le journaliste à la recherche du sensationnel etc)
Une oeuvre à voir et à méditer mais comme tout les films de Kechiche, on en ressort un peu saoulé.