Tout pour oser parler de ce film sans l'avoir jamais vu
La Vénus Noire, c'est la chronologie d'un cul célèbre - celui de Saartjie Baartman.
Article 1 : les biopic, c'est le mal.
Article 2 : il vaut mieux avoir quelque chose d'intéressant à raconter quand on prend la parole pendant trois heures.
Le spectateur est donné à suivre la vie monotone de la jeune femme, poussée de spectacle en spectacle, passant de main en main. Ce qui est génial avec les biopic c'est qu'on devine toujours la fin. Je vous laisse un temps pour mâcher cette remarque et deviner le synopsis de Vénus Noire en conséquence : _ _ _ _ _ _ _ _ _ _. En effet, Saartjie Baartman vit d'abord une micro-célébrité (sinon on ferait pas un film sur elle), et puis sa célébrité décline (pour ça vous aviez une chance sur deux de deviner : il y a des variantes, parfois les biopic se concluent par un suicide ou un assassinat en pleine gloire) et puis elle meurt. Et puis il faut trois heures pour s'entendre raconter ça.
Heureusement pour nous, Saartjie Baartman n'a pas d'enfants, pas de famille, et sa vie est peu riche en événements !
Conséquence : Abdellatif Kechiche a dû se montrer inventif pour passer de trois pages d'information à trois heures de script. Le moyen qu'il a trouvé est à la fois fort intéressant et fort lourd : il est TOUT donné à voir au spectateur. Cela commence par une conférence, en 1815, durant laquelle un « scientifique » décrit les incroyables proportions fessières de notre Vénus Noire. Là où on s'attendrait à un fondu au noir et à voir le scientifique poursuivi par, je ne sais pas, un étudiant admiratif, on a en fait le droit à l'intégralité de la conférence. Là où on pense qu'il va se contenter de décrire la bête pour nous impressionner, on se rend compte qu'il délivre progressivement un discours empreint de racisme. C'est un procédé constant durant le film : tout est donné à voir JUSQU'AU BOUT, et du coup, tout finit par devenir ambigu. (Cela me fait penser très fort au style de Todd Solondz dans Happiness).
Attention bon plan ! Vous en aurez pour votre argent. Le spectacle mettant en scène la célèbre Vénus hottentote, vous le verrez en entier, et plutôt trois fois qu'une. Pensez à ces pauvres gars, en 1810, qui ont payé leur billet et qui, eux, n'ont eu qu'une seule représentation ! Évidemment, cela a un certain intérêt narratif : d'abord, de constater la fatigue de cette vie de bête de foire, mais aussi et surtout de voir les tragiques évolutions du spectacle. Car chaque revendication minime de la pauvre Saartjie a des retombées mille fois pires que si elle n'avait rien voulu. Et le traitement de la Vénus Noire évolue, par à coups, jusqu'aux pires perversions. Si bien que chaque fois qu'elle passe entre de nouvelles mains, on est forcé de se dire « c'était mieux avant », avant de se rappeler qu'avant, c'était déjà atroce. Naît alors, discrètement, une sensation d'étouffement : une assimilation se fait avec le personnage. Au départ, le spectateur est placé du point de vue du public, puis ce qui devient l'objet du spectacle, c'est finalement le public. Or Abdellatif Kechiche a réellement un don dans l'emploi des masses. Les petites phrases qui fusent depuis les groupes qui encerclent Saartjie sont souvent hilarantes, les fluctuations du public sont fascinantes et édifiantes et quelqu'un a-t-il un autre adjectif en « ante » à proposer ?
Et maintenant, le clou du spectacle... Saartjie est plongée dans les « hautes sphères parisiennes », comme on le lui promet, et cela donne lieu à trois scènes exceptionnellement drôles (attention spoil) :
1) des femmes bourgeoises lui posent des questions après le spectacle (« vous pourriez venir faire un spectacle à mon mariage le 23 août ? ») et touchent ses cheveux (« ah ! » « oh ! » « c'est tout chaud ! » « c'est comme de la mousse en fait ! »).
2) un journaliste voulant écrire sur Saartjie est déçu d'apprendre qu'elle n'est pas une princesse africaine, mais son sourire revient quand il comprend la vie misérable de son sujet d'article (ça, ça fait vendre, ouf !).
3) Saartjie fait un spectacle chez des libertins, et Abdellatif Kechiche arrive à ce merveilleux tour de force de faire chevaucher son personnage par une vieille peau de duchesse française qui exhibe à cette occasion l'une de ses mamelles (c'est quoi ton astuce mémé pour avoir des seins pareils ?). Il arrive également à faire embrasser en public un godemiché à un mec au look de poète romantique. Attention : si après ce que je vous ai dit, vous allez quand même voir Vénus Noire, je suspecterai que c'est pour contempler cette fabuleuse paire de seins.
Pour résumer : il y a de vraiment bons détails dans la réalisation et quelques passages drôles, mais le film est beaucoup trop long pour n'en dire pas assez (si ce n'est que : « vie de merde » et « tu croyais avoir une vie de merde ? ça peut être pire encore ! »). Et puis, ça faisait longtemps que j'avais pas été au cirque.