Cible émouvante
Ce n'est pas tant que Vera Drake soit un grand film, il est de facture bien trop classique pour ça. Cependant, il est malgré ses limites indispensable à tout cinéphile qui se respecte et à tout être...
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le 3 déc. 2014
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Mike Leigh signe là encore une formidable histoire, qu'on croirait inspirée d'une histoire vraie mais en fait le personnage de Vera Drake est inventé, bien qu'il soit inspiré de récits de l’époque et de chroniques judiciaires.
En effet, dans les années 50, en Angleterre (comme en France d'ailleurs ou dans d'autres pays européens), de nombreuses femmes, simples, comme Vera aidaient les autres femmes dans l'embarras, à se débarrasser de leurs fœtus gênant, dont elle ne voulaient pas pou de multiples raisons : famille nombreuse, viols, adultères, femmes trop jeunes etc.
Vera est une petite femme exerçant la profession de femme de ménage, et rendant de multiples services dans son entourage : elle s'occupe de sa famille, de sa mère grabataire et de ses voisins, notamment d'un qui est handicapé et dont la femme est dépressive. Elle a même repéré un voisin qui parait seul et malheureux, qui ne mange pas à sa faim, et l'invite à sa table.
On voit tout de suite que Vera a le cœur sur la main et qu'elle est plein de joie de vivre, rassurant tout son entourage
Progressivement, au fur et à mesure de l'avancée du film, on se rend compte que Vera a aussi une activité cachée, ignorée de sa famille mais qui pour elle, va dans le même sens que ses autres activités quotidiennes : elle est ce qu'on appelait en France à l’époque une faiseuse d'anges.
Son amie d'enfance la met en relation avec des femmes dans le besoin, qui habitent les quartiers populaires de Londres. Il est important de noter qu'elle ne reçoit rien en échange de ses services. Ce sont donc des actes totalement désintéressés, de pure solidarité.
Le film montre comment se passent les avortements, le désarroi et l'angoisse des femmes qui vont affronter seules cette épreuve, et les risques encourus.
Les femmes riches, elles, ont un traitement fort différent. Elles ont les moyens de payer un gynécologue et d'aller dans le secret dans un clinique privée, contre une importante somme d'argent. Elle sont donc accompagnées tout au long du processus, endormies et dans des conditions sanitaires parfaites, contrairement aux femmes pauvres, qui attendent chez elles que l'avortement ait lieu, dans les pires douleurs.
On ne peut s’empêcher de penser au film de Chabrol, réalisé seize ans auparavant, Une affaire de femmes, qui conte l'histoire d'une autre faiseuse d'anges, mais dont le sort sera bien plus terrible. Autre époque, autre châtiment.
Tous les personnages, même les secondaires, sont extrêmement creusés,et réalistes, notamment la famille de Vera. Le mari est doux et aimant; le fils est déluré et charmeur et la fille est inhibée, très coincée mais gentille.
Ce qui est marquant est l'unité de cette famille, leur cohésion et leur amour réciproque doublée d'une certaine joie de vivre malgré leur condition modeste et l'époque assez sombre (pauvreté, séquelles de la guerre, misère affective, tabous).
Mike Leigh a employé pour ce film une méthode qu'il utilisait au théâtre : il donne à ses acteurs les grands lignes de l'histoire et du tempérament des personnages. Il leur recommande de faire des recherches sur l'époque. Il leur demande de s'exercer au parler londonien populaire des années 50. Il les installe dans la peau de leurs personnages et il leur donne des astuces pour y parvenir.
Puis, il tourne les scènes en leur demandant d’improviser.
Ainsi, l'actrice qui interprète Vera, Imelda Staunton, raconte comment durant la scène de l'arrestation, elle a totalement improvisée, ne sachant même pas que les acteurs jouant les policiers allaient venir l'arrêter. On lit la surprise d'abord sur son corps (tressautements), puis la stupeur sur son visage, la honte, la culpabilité car sa famille n'est pas au courant. Quant aux acteurs jouant les membres de sa famille, ils sont tout aussi stupéfaits.
Le cinéaste s'est encore une fois entouré de plusieurs de ses fidèles : Stan, le mari de l'héroïne, est interprété par Phil Davis, qui jouait le rôle du coursier dans High Hopes et était également à l'affiche de Secrets et mensonges (1988). L'imposant Peter Wight, qui incarne l'inspecteur Webster a été vu dans Naked (1993) et Secrets et mensonges.
Mike Leigh a volontairement situé son film en 1950 car cela lui me "permettait d'établir la base morale du problème de façon implicite, sans avoir à me transformer en un ardent propagandiste. De plus, mon rôle est de poser des questions, non de tirer des conclusions hâtives. Cette question demeure délicate et difficile."
Comme souvent chez Mike Leigh (Secrets et mensonges, All or nothing), le thème de la famille est central dans Vera Drake. Le réalisateur s'en explique, en reliant cette question à celle de l'engagement politique : "La famille demeure (...) mon sujet de prédilection. Les familles constituent d'ailleurs des microcosmes de la société. Dans ce sens, on peut dire que tous mes films ont un côté politique. Ce film davantage encore que les autres, puisqu'il montre un individu en marge de la société pour avoir bravé ses lois. Bien sûr, je ne fais pas de politique à proprement parler. Je ne montre aucun politicien et ne donne pas d'arguments politiques. Vera Drake est une métaphore, une distillation cinématographique et universelle."
Imelda Staunton a été récompensée en 2005 par un BAFTA, un Golden Globes et une nomination à l'Oscar de la meilleure actrice pour cette interprétation, et je peux vous dire que c'est largement mérité ! Moi, elle m'a réellement bluffée.
Quant au film, il fut le grand vainqueur de la Mostra de Venise en 2004, auréolé de la récompense suprême, le Lion d'Or.
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Créée
le 4 avr. 2017
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