Vers sa destinée
7.7
Vers sa destinée

Film de John Ford (1939)

"I may not know so much of Law, but I know what's right and what's wrong."

If Nancy Hanks
Came back as a ghost,

Seeking news
Of what she loved most,

She'd ask first "Where's my son?

What's happened to Abe?

What's he done?"
(…)
"You wouldn't know
About my son?

Did he grow tall?
Did he have fun?

Did he learn to read?
Did he get to town?

Do you know his name?
Did he get on?"

Nancy Hanks Lincoln n'est autre que la mère du jeune Abraham Lincoln. Morte bien avant que celui-ci ne devienne le 16e président des Etats-Unis. Et ce poème de Rosemary Benét, cité en prologue du film de John Ford annonce la couleur: C'est par cette simplicité élégante et modeste, ce questionnement naïf et tendre d'une mère pour son enfant, que Ford entend décrire les premiers pas d'un des plus grands homme d'Etat que l'Amérique ait connu. Raconter le mythe lorsqu'il était encore humain.
- A l'exact opposé de l'intention du médiocre film de Spielberg -

"Young Mister Lincoln" décrit donc ce que furent les premiers questionnements, les premiers doutes, les premières luttes, les premières ruses, de ce grand Homme en devenir.

On est d'abord touché par son hésitation un peu gauche à parler en public et du même coup par la simplicité, l'honnêteté et la franchise de son discours. Ce que devrait être tout discours politique, en somme.

Abraham Lincoln est un jeune homme simple, employé dans une épicerie, en chemise et pantalon à bretelles comme les paysans et les pionniers qu'il côtoie.

Comme souvent chez Ford, ce sont eux les véritables héros de l'histoire. Eux sans qui il n'y aurait pas de grandeur. Les seconds, rôles, les silhouettes, les figurants, toutes les "petites gens" qui gravitent autour de l'intrigue ont leur importance. Il y autant à lire sur leurs visages que sur celui d'Henri Fonda, dans leurs rires ou leurs colères, dans leurs indignations et leurs haines, Ils ne sont pas tous bons, ni tous mauvais. Mais ce sont eux les véritables inspirateurs, eux pour qui il vaut la peine de se battre, de défendre des convictions.

Tout cela, le jeune Abe va apprendre à le faire, dans les livres qu'il trouve, lui qui n'est pas beaucoup allé à l'école.

Comme souvent encore chez Ford, le tragédie de l'existence humaine, le souvenir des disparus, sert de révélateur, pour ses personnages, comme pour nous qui les observons.

En une ellipse tranchante, Ford raconte comment Abe perd le premier amour de sa vie, Ann Rutledge, terrassée par la maladie. Là aussi l'extrême simplicité de la mise en scène donne à voir toute l'importance que cette rencontre, cet amour inachevé, a de décisif dans l'existence du bonhomme: C'est elle qui le pousse à étudier, c'est à travers son regard qu'il comprend ce dont il est capable.

Abraham deviendra avocat. Défenseur du droit.

Je ne raconterai pas le reste de l'intrigue qui apportera son lot de rires, de suspense et de rebondissements inattendus, dans des séquences de procès absolument géniales ( fictives mais inspirées de faits réels soi-disant )

Je vous parlerai seulement de la science du cadre de John Ford.

Abe est un grand gaillard, qui souvent pour entrer dans ce cadre est assis les jambes allongées, posées sur son bureau, sur le bord d'une fenêtre. Quand il se lève, en douceur, c'est déjà un évènement. Il n'aura de cesse de grandir, physiquement, de dépasser ceux qui l'entourent, jusqu'à déborder ce cadre même qu'il fera un jour éclater. (Abraham Lincoln a entre autres fait abolir l'esclavage) La contre-plongée qu'oblige souvent ce haut personnage ne nous écrase jamais. Elle élève notre regard.

En attendant, il chemine lentement, mais d'un pas décidé. La parole d'Abraham, sa pensée sont comme la marche têtue des mules qu'il a coutume de monter. Comme Don Quichotte, flanqué d'un Sancho trappeur et buveur de whisky.

Le talent fou de Ford pour mêler la comédie à la tragédie vient aussi de là. C'est une capacité à rire des choses les plus sérieuses, à se moquer des convenances et de la bien-pensance pour retrouver au fond des êtres quelque chose de franc et d'honnête. Quelque chose de juste. Des visages les yeux écarquillés, baignés de lumière, pour écouter les paroles profondes.

Alors, quand on doit choisir ses jurés pour faire condamner à mort ou innocenter les suspects d'un meurtre, mieux vaut prendre un jovial menteur qui s'avoue comme tel, plutôt qu'un homme grave qui jure dire la vérité.

C'est aussi une manière de voir le Cinéma: le mensonge de la fiction révèle une vérité.

Ce film là en donne à voir, beaucoup.
antoninbenard
8
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le 4 sept. 2013

Critique lue 574 fois

20 j'aime

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Antonin Bénard

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