Troisième collaboration entre Lina Wertmüller et le couple formé par les comédiens Giancarlo Giannini et Mariangela Melato, après Mimi métallo blessé dans son honneur (1972) et Film d'amour et d'anarchie (1973), Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été, réalisé l'année suivante en 1974, confortait autant le goût de la réalisatrice italienne pour les titres décalés que sa position de cinéaste engagée. Continuant sur la même veine corrosive qui l'avait vu tordre le cou à la lutte des classes lors de sa précédente trilogie (terminée la même année avec Chacun à son poste et rien ne va) en recourant à la fois à la comédie, au mélodrame et au pamphlet social, l'ancienne assistante du maestro Frederico Fellini signait cette fois-ci un nouvel essai subversif en mettant en scène une fable allégorique où se joignaient désormais la guerre des sexes.
Réalisé durant les années de plomb, Vers un destin insolite, sur les flots bleus de l'été témoigne, sous son canevas comique brocardant l'Italie patriarcale, des divisions quasi insolubles qui déchiraient le pays au mitan des années 70, en premier lieu l'opposition traditionnelle entre l'Italie du Nord et celle du Sud, et celle éminemment politique et régie depuis l'Après-Guerre entre la Démocratie chrétienne et le Parti communiste. Le film fait ainsi écho à ces deux visions antagonistes, et inconciliables, personnifiées par la pro-capitaliste Raffella, méprisante envers les classes populaires, et le militant communiste précaire Gennarino, vouant une haine inconditionnée à la « classe dominante ».
Spectateur de cette opposition, Lina Wertmüller prend plaisir à inverser les codes sociaux contemporains en plaçant ses deux protagonistes sur une île déserte, où l'ancien opprimé devient le nouvel oppresseur. Catalyseur de ce bouleversement, ce retour à l'état sauvage provoque le basculement de la morale de Gennarino et de la raison de Raffaela. Furieuse, humiliée, la riche Milanaise n'a d'autre choix que de se soustraire à la violence morale, affamée, elle doit jouer le rôle de servante si elle veut obtenir de la nourriture, puis physique du rustre Gennarino, celui-ci, non content d'insulter Raffaela, la frappe afin d'appuyer sa position de mâle dominant. Conclusion à ces diverses agressions, afin de faire voler en éclat les dernières inhibitions morales et sociales de Raffaela, Gennarino orchestre en guise d'électrochoc final une fausse tentative de viol. Dérangeant, Raffaella et Gennarino tombent dès lors éperdument amoureux, leur relation d'inspiration sadomasochiste laissant alors, contre toute attente, sa place à une véritable complicité charnelle. Désormais dévorés par la passion, les deux amants jouissent pleinement de ce nouvel éden, dans cet espace clos enfin libéré de toutes morales corrompues, avant que Gennarino ne cède aux sirènes de la civilisation pensant sonnant l'arrêt de cette parenthèse enchantée.
Foncièrement comique dans sa première partie, n'hésitant pas à forcer la caricature grâce à ses deux acteurs interprétant avec malice leurs personnages excessifs, Vers un destin insolite confirme également le goût de sa réalisatrice pour la multiplicité des genres, passant avec brio de la farce au film de survie, de la romance passionnée au drame. Cruel, le dénouement ne fait nulle mention de la vision pessimiste de son auteur. A l'instar de ses précédents longs métrages, l'utopie se heurte à la nature humaine et au contexte sociopolitique. De là à y voir une allégorie de l'échec futur du « compromis historique » qui devait permettre l'entente politique entre les deux grands partis politiques transalpins, pourquoi pas...
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