Vice-versa 2
7
Vice-versa 2

Long-métrage d'animation de Kelsey Mann (2024)

Il fut un temps où l’on attendait le nouveau Pixar avec excitation : le studio était devenu le maître de l’imaginaire, ayant su conjuguer les innovations visuelles de l’animation 3D avec une folle inventivité narrative, au point d’écrire un chapitre majeur de l’histoire du film d’animation. Cette époque, soyons honnête, est clairement révolue, le studio ayant du mal garder son souffle, englué dans des impératifs divers (rachat par le grand ogre Disney, valse des exécutifs, stratégies au jour le jour en termes de diffusion…) et face à de sévères crises d’inspiration.


L’inquiétude d’une baisse de régime a donc logiquement poussé les décisionnaires à convoquer les valeurs sûres du passé, certaines (la saga Toy Story, Les Indestructibles) engendrant des excroissances tout à fait galvanisantes. Vice-Versa avait marqué son époque il y a près d’une décennie, et sa nouvelle mouture n’a donc pas trop à se fatiguer pour renouer avec un matériau de qualité. Il s’agit peu ou prou de moduler sur un même modèle en attestant de la maturité de la protagoniste, entrant de plain-pied dans l’adolescence. On retrouvera donc avec un certain plaisir les sentiments incarnés autour de la console des émotions de la jeune fille, et la rupture profonde provoquée par son passage à la puberté. Quelques idées bien trouvées (comment positionner ses bras lorsqu’on est en bande, la faille du sarcasme) attestent d’une capacité toujours prégnante à évoquer la psychologie humaine à travers la tendre didactique du cartoon, servie par un humour qui, principalement au début, fait souvent mouche. Quant à cette thématique des sentiments enfantins remisés au placard par l’anxiété, l’embarras, l’ennui et l’envie, on peut évidemment la lire comme un regard sur la fuite en avant des films pour enfants forcés de faire dans le sarcasme et la double lecture pour une audience plus large.


Mais tout cela reste assez maigre lorsqu’il s’agit de bâtir l’intrigue d’un long métrage. Car si Riley subit un grand chamboulement dans son existence, on ne pourra pas en dire autant au sujet de l’histoire qui la restituera. Même exposition, même élément perturbateur occasionnant une descente dans les tréfonds de la conscience avant une crise et sa résolution… de peur de casser la formule gagnante, on n’abat pas les cloisons. L’intrigue, péniblement linéaire et sans enjeux (on a connu plus engageant que ces trois buts de hockey), occasionne du remplissage (les expériences visuelles assez gratuites sur le papier découpé, les manga ou la 2D du passé) voire quelques plages d’ennui, et on sait dès les premières minutes le déroulé de tout le récit à venir.


Bien entendu, le film est probablement bien au-dessus de la mêlée, ne démérite pas en termes d’animation et de réalisation, mais à force de frilosité, manque de panache et d’audace. Les séquences du générique de fin, avec immersion dans l’esprit du père et de la mère attestent de tout le potentiel d’un tel univers narratif, ici clairement sous exploité. Car cette dernière ligne, assez habile lorsqu’il s’agit de démonter le mécanisme d’une crise d’angoisse, se noie surtout dans un manuel de développement personnel terriblement redondant (pitié, ces répétitions de « je suis une bonne personne/je ne suis pas à la hauteur ») à la morale on ne peut plus falote de la gentille américaine voulant intégrer l’équipe des winners.


Le constat ne manque pas d’ironie : Alerte Rouge, qui traitait du même sujet, mais passé inaperçu parce que sacrifié sur Disney +, avait justement cette audace que n’ose pas avoir cette suite, pétrifiée par le souvenir d’un âge d’or qu’on pense intouchable.

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films d'animation Pixar, Vu en 2024 et Vu en salle 2024

Créée

il y a 6 jours

Critique lue 353 fois

20 j'aime

5 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 353 fois

20
5

D'autres avis sur Vice-versa 2

Vice-versa 2
Plume231
3

Bonjour l'angoisse !

Depuis la toute fin des années 2010, Disney traverse la période la plus lamentable de toute son existence. Certes, le studio a connu, dans toute son histoire, de nombreuses perturbations, de...

le 18 juin 2024

23 j'aime

10

Vice-versa 2
Lordlyonor
6

“Dans le palais des émotions il y a beaucoup de chambres.”

Citation d’Antoine AudouardLe dépôt de bilan du célèbre studio d’animation Gainax en mai 2024 nous a bien appris une chose : le nom du studio est bien moins important que les crédits du film. Pixar...

le 16 juin 2024

21 j'aime

9

Vice-versa 2
Sergent_Pepper
6

Dead alert

Il fut un temps où l’on attendait le nouveau Pixar avec excitation : le studio était devenu le maître de l’imaginaire, ayant su conjuguer les innovations visuelles de l’animation 3D avec une folle...

il y a 6 jours

20 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

769 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

705 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53