Vice-versa 2
6.8
Vice-versa 2

Long-métrage d'animation de Kelsey Mann (2024)

Il y avait-il de quoi être surpris, franchement ?

Parce que, oui – attention révélation ! – Vice-versa 2 est à l'image de toutes les suites Pixar qu'on a vues fleurir cette dernière décennie : propre certes, mais prévisible, convenu et totalement calibré.

Un vrai produit d'usine – bien ouvragé au demeurant – mais terriblement évidé d'intérêt, du moins de mon point de vue.


Le pire c'est qu'il ne pouvait pas y avoir de surprise. C'est que ça fait un petit moment que Pixar joue cartes sur table en la matière. En cette période où le risque effraie les investisseurs, le studio à la lampe a décidé d'alterner entre projets créatifs et projets plus sûrs. Vice-versa 2 fait incontestablement partie de la seconde catégorie tant le succès de son prédécesseur fut entier.

Seulement, difficile en contrepartie de ne pas considérer l'incongruité de faire des suites de projets créatifs à succès car, dans ces tristes équations comptables, Pixar semble oublier que ce qui a su aussi participer au succès de ses projets créatifs, c'était qu'ils étaient créatifs, justement.


Dans mon cas, par exemple, j'étais loin de trouver Vice-versa parfait. Je le trouvais bêtement bariolé, un brin tordu dans sa manière de penser les individus et grandement discutable dans son choix d' « émotions » qu'il avait décidé de personnifier. Malgré tout, j'ai fini par me laisser prendre par ce film parce qu'on me proposait là tout un univers original, riche, pensé, habilement mis en dynamique. Et c'est clairement grâce à ces qualités-là que je me suis laissé surprendre ; que je me suis laissé conduire sur un sentier inattendu et au final fort enrichissant.

Et si je me permets de notifier cela c'est bien parce que, quand je me retrouve face à un Vice-versa 2, je ne suis pas confronté à une proposition nouvelle.


Alors oui, on nous ramène de nouveaux personnages, de nouvelles métaphores pseudo-psychologisantes, le tout pour aborder une nouvelle phase de la vie du personnage de Riley, mais tout ça ne fait que reproduire, au fond, le schéma du film précédent.

Au début tout va bien : Riley est heureuse. Et puis survient l'élément perturbateur qui bouscule tout son bien-être intérieur. Cela va se traduire par l'émergence de nouvelles allégories émotionnelles qui vont alternativement prendre les commandes de la jeune fille, reproduisant de fait le modèle narratif du film précédent.

Tout ça a des allures de triste bis repetita.

Pire, tout ça a aussi et surtout des allures de dévoiement.


Parce qu'en effet, à trop vouloir reproduire sa formule, Pixar en est venu à éviter son sujet ; pire, à s'engager sur un chemin presque antithétique au regard de l'identité que le studio s'était forgé lors de sa première décennie. Car il n'y a rien d'anodin à reprendre la formule et le ton du premier Vice-versa pour le transposer tel quel pour aborder la question de l'adolescence.

Parce qu'autant le ton mielleux, l'atmosphère bariolée et cette vision d'un individu très cloisonné peut s'entendre et se justifier pour parler de la jeune vie d'un enfant n'ayant jamais vraiment connu rien d'autre que le cocon familial, autant ça me paraît totalement inadapté pour aborder la question de l'adolescence.


L'adolescence n'est pas qu'une période où on se confronte à soi. C'est aussi une période où on se confronte à d'autres individualités en pleine affirmation, à de nouvelles normes, à de nouveaux enjeux de société et de socialisation. L'adolescence est un temps de bousculement – voire de violence – et qui ne relève pas que de son fait à soi.

L'autre peut être violentant. La norme peut être malmenante.

La société peut être oppressive et aliénante. Et alors que Vice-versa 2 avait cette opportunité de dépasser la seule question du self developpement pour aborder une approche plus complexe du rapport à l'autre et à l'ensemble, le film décide de totalement botter en touche cette question, et cela de la pire des manières qui soit.


Parce qu'en effet, dans le monde de ce Vice-versa 2, la confrontation à l'autre, la violence des groupes et des normes, ainsi que l'oppression et l'aliénation sociale n'existent pas.

Tout est gentil, cool et sympa. Rien ne doit être interrogé sur ce point-là.

L'esprit de compétition, le coaching toxique, la culture de la performance et le ranking à tout va : tout ça va de soi. Le problème n'est pas là. Le problème vient de Riley qui ne sait pas gérer ses émotions.

De cela en ont découlé deux immenses problèmes qui ont clairement participé à saborder mes possibilités de plaisir face à ce film. D'un côté, il produisait une iconographie totalement artificielle de la vie de collège faite de copines sympas / cools / inclusives / protectrices de la cause des bébés koalas, et de l'autre il s'abandonnait sans aucune mesure dans le conte libéral fait de self focus, de solutions intérieures et de développement personnel. Et ça, désolé, mais ce n'est pas du Pixar du tout. Du moins, ce n'est pas ce qui faisait la force, à mes yeux, des premiers grands chefs d'œuvre du studio.


Il suffit de revoir Les Indestructibles, Cars, Ratatouille ou Wall-E pour se rappeler de ce qui avait su faire la différence à l'époque, notamment en comparaison avec son grand frère Disney.

Alors que la firme de l'oncle Walt était restée emmurée dans ses fables réactionnaires et conservatrices à base de princesse, de mondes féeriques monarchiques et d'accomplissement dans le respect des normes traditionnelles, Pixar lui réimplantait ses fables dans le monde contemporain tout en questionnant ce dernier : c'est le monde de l'entreprise et la question productiviste qui sont abordés par Monstres et Cie, la contrainte à rentrer dans un moule normatif dans les Indestructibles, le culte de la performance à outrance remis en cause dans Cars.

Car oui, Pixar, à ses débuts, posait bien des regards sur le monde contemporain. Et qu'on se retrouve ou non dans ses discours, on ne pouvait nier cependant sa créativité, sa malice, sa nuance et surtout sa cohérence.

Or, que reste-t-il de tout ça dans ces suites formatées telles ce Vice-versa 2 ? Rien.

Ou plutôt si : il reste du Disney. Rien de plus, au fond.


Alors d'accord, tout ça n'efface pas non plus totalement ce que je rappelais au début de cette critique : Vice-versa 2 reste un film propre et structuré, offrant même par moments quelques sourires ou instants d'émotions qui peuvent faire sourire ou émouvoir. Rien de honteux ou d'indigent, j'en conviens.

Mais, pour ma part, je ne peux m'empêcher d'être triste quand je constate que les artistes peintres d'hier s'abaissent aujourd'hui, pour de banales préoccupations mercantilistes, à diluer leur talent en jouant les moines photocopistes.


Triste époque que voilà.

Tristes artistes aussi.

Créée

le 25 juin 2024

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