Film d’ouverture de la Semaine de la Critique, Victoria est le second long métrage de Justine Triet. On se souvient bien évidemment du premier film de la réalisatrice, La Bataille de Solférino, présenté à l’ACID au Festival de Cannes en 2013 soit à la même période que d’autres productions françaises minimalistes mais intéressantes comme La Fille du 14 Juillet de Antonin Peretjatko, 2 Automnes 3 Hivers de Sébastien Betbeder ou même Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne. Un cinéma français de l’audace donc, avec un humour aux antipodes de la potacherie grand public et aux accents délicieusement godardiens. Les critiques les plus enthousiastes parlaient un peu trop vite d’une Nouvelle Nouvelle Vague Française portée par ces jeunes réalisateurs qui osent et ne tombent pas dans la facilité. Si la vague n’a finalement pas déferlé sur le cinéma français, Justine Triet était tout de même attendue au tournant. Pour Victoria, elle décide d’abandonner la forme semi-documentaire de son premier film pour aborder une mise en scène plus classique mais tout aussi élégante et assurément plus maîtrisée. A n’en pas douter que la réalisatrice ait dû bénéficier d’une augmentation du budget de production tant la critique française avait apprécié son premier film et attendait impatiemment son retour derrière la caméra, sans compter qu’elle a pu se reposer sur une éblouissante tête d’affiche. Si dans son premier film, le bordel était général, il est autrement plus personnel ici et ne s’attarde que sur le personnage de Victoria, influencée par les gens qui gravitent autour d’elle avec tout ce que cela peut comporter d’absurde, de dramatique et de romantique. Une manière pour la réalisatrice de remanier un genre apprécié, loin des poncifs rabattus dans l’hexagone.


On se prend vite d’affection pour Victoria, ce joli personnage qui tente de se démener dans la vie comme elle peut. Elle qui tente de combler maladroitement ses ardeurs sexuelles avec des rencontres d’un soir, de gérer sa carrière d’avocate, de faire face à un ex-mari qui dévoile sa vie sur un blog, de gérer le procès de son meilleur ami, de s’occuper de ses deux filles et de l’arrivée impromptue d’un de ses anciens clients dans son foyer. Tout ce bordel existentiel donne à Victoria une profondeur remarquable qui en fait un personnage féminin incontestablement moderne. Et quand on regarde comment ce protagoniste est traité avec finesse, on se dit qu’il n’y a rien de plus beau qu’une réalisatrice qui donne enfin les moyens à Virginie Efira de se libérer -mais pas trop quand même- de ses rôles de comédies romantiques un peu trop formatées. Il est incontestable de noter la remarquable tournure de carrière que prend Virginie Efira, après avoir notamment été vue dans Caprice d’Emmanuelle Mouret ou chez Paul Verhoeven cette année dans Elle. Mais c’est véritablement avec Victoria que l’actrice exprime tout son art et une subtilité qu’on ne lui connaissait que trop peu et qui en fait le plus beau personnage de sa carrière. A ce petit jeu, Virginie Efira passe par tous les états, de l’insouciante femme moderne à la névrosée au bord du burn-out en passant par l’amoureuse refoulée qui tente de remettre de l’ordre dans sa vie. C’est ça Victoria, une femme qui s’amuse, bois, baise, tombe, dépérit et déborde de vie. Virginie Efira n’hésite pas à donner de son corps pour apporter une sensualité suave bienvenue, et contrebalance tout en nuance avec ce personnage affolé. A côté d’elle, Vincent Lacoste trouve également un rôle à sa mesure et peut voir ce film comme un passage de flambeau entre l’adolescent un peu gauche et le jeune homme à fière allure, dont la ressemblance avec Louis Garrel devient de plus en plus troublante. Melvil Poupaud est également parfait en victime dépressif et autodestructeur.

Victoria est le portrait drôle, contemporain et sensible d’une névrosée bordélique, facilement rattachable à toute une génération d’actifs dépassés par le bordel de la vie. Sans doute le plus beau rôle de Virginie Efira.



Même si elle est maîtrisée, la mise en scène souffre d’un académisme qui exclut toute folie visuelle et empêche certaines séquences de tenir le rythme, suscitant quelques longueurs. Le film n’atteint pas son potentiel, ne lorgnant finalement jamais avec la grande oeuvre que Victoria aurait pu être. Il n’empêche que le scénario uniquement rédigé par Justine Triet (tout comme ses dialogues) permet au film de prendre son envol et d’être au dessus de la mêlée. Tout comme son précédent long métrage, Justine Triet use du comique de situation pour apporter une fraîcheur et une dimension absurde bienvenue. On s’amuse de ce procès où tout repose sur les témoignages d’un chien diagnostiqué possessif ou d’un chimpanzé photographe. Mais derrière la comédie se cachent des personnages pathétiques, tristes dans leur vie et dont l’angoisse existentielle en font des héros auxquels on peut facilement s’identifier. Une identité dramatique qui apporte vraiment de belles nuances à ce récit désopilant mais très contemporain. De ce parcours chaotique d’une jeune quadra, on rit, on s’émeut, on déprime et on applaudit. Justine Triet maîtrise comme personne ces écarts émotionnels et fait de Victoria un film drôle et inattendu. Parmi toutes les rom-coms qui inondent les écrans français, Justine Triet offre un film presque OVNI tant il s’avère ni plus ni moins être l’une des comédies romantico-dramatiques les plus audacieuses et borderlines de ces dernières années.

Softon
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le 22 mai 2016

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Kévin List

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