Qu'advient-il des œuvres prophétiques dont la prophétie ne se réalise pas ? (Ou pas encore ? Ou seulement partiellement ?) Comment juger objectivement une œuvre de jeunesse d'un metteur en scène dont la maîtrise n'a eu cesse d'évoluer depuis ? Mais également comment faire fi de l'importance que "Videodrome", film emblématique s'il en est, eut sur notre génération, pour laquelle il constitua un jalon important ? On n'a pas donc forcément envie de revoir "Videodrome" en 2017, mais on se rend compte au bout de quelques scènes que nos craintes, nos doutes étaient injustifiés. La rigueur formelle (qui tend à la froideur, on le sait) de Cronenberg est déjà visible malgré le budget ultra-serré du film "de genre", et la vision hallucinatoire de la contamination et de la Réalité et du Corps - grand sujet cronenbergien - par la technologie et les media sautent littéralement aux yeux, et transforment le visionnage de ce "petit film" en une expérience cinéphile majeure. Bien avant la vulgarisation de la cyber-culture, Cronenberg imaginait donc un monde menacé par le totalitarisme des images dépouillées du moindre référent réel, utilisées comme des drogues aliénantes, et à la merci des convoitises d'entreprises à l'éthique et aux objectifs douteux. Cronenberg offrait du coup à un jeune James Woods - parfaitement génial ici - l'une de ses premières grandes apparitions, tandis que les nombreux fans de Debbie Harry auront toujours une raison supplémentaire pour regarder "Videodrome', qui ajoutait une pierre pour le moins sulfureuse à la construction de sa légende d'icône rock. [Critique écrite en 2017, faisant une synthèse de notes prises en 1984 et 2002]