Rien de tel que le cinéma de genre pour expectorer l’infection d’une époque : présenté à Cannes, où l’on décelait déjà de forts échos avec la pandémie de Covid et la tension générale autour de la guerre en Ukraine, Vincent doit mourir sort dans un étouffant climat de crispation qu’il semble avoir tristement prophétisé. Un monde où tout échange avec son prochain peut virer au pugilat, et où la réversibilité des rôles abolit tout repère quant à la morale : la victime tuméfiée suscite davantage la suspicion que l’empathie, la seule issue semblant être un retour à un confinement dont on envisagerait même plus le terme.
L’improbable pitch sur un inexplicable déchaînement de violence pour quiconque croise le regard du protagoniste pousse dans ses retranchements l’impossibilité chronique du vivre ensemble. Mais Stéphan Castang, qui signe ici son premier long métrage, a l’intelligence de ne jamais surligner son propos, sur une ligne de crête qui mobilise de nombreuses tonalités – comme le faisait par ailleurs Le Règne animal, qui partage plusieurs points communs avec lui. La satire de l’open space, dans un premier temps, convoque chez le spectateur une certaine jubilation sadique à voir le monde de l’entreprise, à l’heure des happiness managers, démasqué sur ses pulsions profondes. Mais l’approche même de la violence conjure la possibilité de dériver vers une catharsis euphorisante : chez Castang, les combats n’auront jamais le panache et la sublimation souvent en vogue dans un tel cinéma. Parce que la violence s’empare d’individus n’étant pas préparés pour elle (jusqu’aux enfants), elle est maladroite, désordonnée et purement pulsionnelle, et trouvera son apogée dans une fosse septique dont les vertus comiques sont assez rapidement évacuées.
L’angoisse soulignée par une très efficace bande originale infuse donc un road movie qui là aussi, ne va pas prendre les directions attendues à partir du moment où on y injecte les ingrédients d’une romance où les punchlines alterneront avec les mandales. Pour qu’une telle sauce prenne, il faut évidemment compter sur le charme imparable du duo de comédiens, les géniaux Karim Leklou et Vimala Pons dont l’alchimie permet au projet de tenir la route.
On passera sur quelques petites fragilités d’écriture (le fait que les lunettes opaques ne soient jamais évoquées comme une solution, l’idée tardive de simplement bander les yeux de l’autre) et la rapidité avec laquelle on bascule du thriller à la comédie romantique ; l’évolution du récit vers une apocalypse proche de celle des films de zombie offre une séquence qui sait parfaitement gérer son manque de moyens, et la conclusion en forme de fuite en avant parvient à poétiser le désespoir, en lançant vers l’horizon des amants aux yeux bandés, jolie métaphore sur la paradoxale survie de l’individu face au chaos du réel.