Les deux réalisateurs documentaristes avaient déjà réalisé un premier documentaire sur le même "sujet" en 2012 : Vincent Lindon. Revolvers.

En envisageant cette suite ils ont proposé à celui avec qui ils sont toujours restés en contact : "Prends ton smartphone et, chaque fois que tu as un moment d'exaltation ou de blues, enregistre-toi -avec ou sans l'image". Voici donc le résultat de deux années de notes vocales, vidéos tremblantes et approximatives et autres séquences de meilleure qualité lorsque les réalisateurs prennent le relai. Et c'est passionnant. J'ai vu ce film hier soir, j'en suis encore bouleversée presque tremblante devant tant de rage, de fureur, de solitude et d'excès autant dans l'exaltation que dans la dépression.

Vincent Lindon se connaît bien et les qualificatifs abondent quand il évoque son tempérament où toutes les émotions sont exacerbées : "Habité d'un désespoir profond avec un coeur sanglant qui encombre", il assure que son entourage exprime une joie sincère de le voir arriver mais aussi un soulagement intense de le voir partir tant il envahit tout et tous ceux qui l'entourent, obligés de "supporter" son envahissement.

Presque possédé d'une haine de soi profonde qui s'accentue avec l'âge, se regarder lui est devenu insupportable. A vif, bombe à retardement constamment inquiet et persuadé de son inutilité, "je suis un être humain qui ne sert à rien", Vincent Lindon est impatient, lucide, irritable, égocentrique mais aussi désintéressé, gentil, généreux. Mais il veut également être "le premier, le meilleur, tout le temps et que tout le monde le sache". Un concentré d'émotions à vif et de contradictions qui n'a pas eu son "compte affectif" (parole de psy) et reste inconsolable de la mort de son "petit frère", de la froideur de sa mère, la femme intouchable qu'il ne faut pas abîmer et de son père qui ne peut plus voir sa réussite. Convaincu, parce qu'il l'a entendu de leurs propres bouches, d'avoir été une déception pour ses parents qui ne s'attendaient pas à avoir un enfant né avec un tel mal de vivre, "ce n'est pas ce qu'ils avaient commandé". Accablé depuis tout jeune d'un syndrome Gilles de la Tourette qui disparaît comme par enchantement lorsqu'il quitte son embarrassante carcasse pour se glisser dans celle d'un personnage de cinéma. Découragé lorsqu'il se retrouve seul au milieu de nulle part, en panne et s'invectivant lui-même de faire son malin de n'avoir ni secrétaire ni chauffeur et d'être complètement seul, perdu, comme ce petit arbre isolé, fragile dans la nature auquel il s'identifie.

Vincent Lindon peut aussi être d'un enthousiasme délirant de gamin de cinq ans lorsqu'il découvre sa suite à Cannes quand il fut Président du jury en 2022 et savourer comme un débutant son Prix d'interprétation et sa Palme d'Or à Cannes comme un aboutissement. Sangloter en recevant son prix car il ne peut le partager avec son père absent. Tout en soulignant quelques minutes plus tôt la vanité et la vacuité de son métier. Il fait preuve d'impudeur et encore une fois d'une exaltation sans mesure quand il évoque son amour pour ses deux enfants. Il est fier et ému de lire un sms d'Alain Delon. Mais on le sent également sincère lorsqu'il affirme se sentir l'obligé de la classe ouvrière qu'il défend dans certains rôles, lui, le bourgeois. Et désolé de n'avoir jamais été appelé par Téchiné, Miller, Tavernier... d'être sans doute l'acteur qui reçoit le moins de propositions.

Je pense que le réalisateur qui a le mieux compris Vincent Lindon est Alain Cavalier dans ce film admirable Pater, dont il disait :

"Il me plaît.

Il est chaleureux.

Un peu impulsif. Mais je le freinerai.

Il est robuste.

Il est terriblement sympathique.

On l'aimera."

Roi de la punchline et des formules chocs imparables, il peut aussi être très très drôle, les (rares) jour fastes. L'entendre raconter par le détail le film Equalizer avec Denzel Washington qu'il tient (sans doute ironiquement) pour un chef d'oeuvre ou sa non rencontre avec Michael Douglas est à mourir de rire (je vous assure).

Loin des documentaires hagiographiques qui déroulent chronologiquement toutes les étapes de la vie d'acteurs illustrés par des extraits de films et où des amis, collaborateurs, collègues face caméra étalent toutes les qualités du "sujet", ici nous n'avons que deux petits extraits servant uniquement à illustrer le Prix d'interprétation (La loi du marché 2015) et la Palme d'or (Titane 2021) Il reste Vincent Lindon l'homme, le père, le fils tous trois écorchés, à nu, à vif, constamment. Il nous balance sans retenue l'hémorragie de sa douleur.

Ce film remarquable sur un acteur immense est éreintant, bouleversant et se termine par ces mots "comme si moi, j'étais toujours un fils".

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