Alexeï Guerman,dont la dernière oeuvre,"Il est difficile d'être un dieu",est sorti cette année en France à titre posthume,n'a réalisé que six films en 46 ans de carrière.La faute à une grande exigence mais surtout à ses démêlés avec la censure soviétique,qui n'appréciait guère sa liberté de ton."20 jours sans guerre",comme ses autres films,a connu en son temps des problèmes de distribution.Plastiquement,c'est très beau.Guerman utilise le noir et blanc,dont il est un inconditionnel puisque c'est le cas de tous ses films pourtant tournés entre 1967 et 2013,à l'époque du cinéma en couleurs.L'image de Valeri Fedossov,aux lumières très contrastées,est magnifique.La technique suit,Guerman filmant souvent ses personnages en gros plans mais sachant alterner avec des plans larges rendant justice aux majestueuses plaines russes et à ses impressionnants décors de villes en ruines.Ses avancées caméra à l'épaule au milieu de la foule ou à l'intérieur d'appartements surpeuplés valent aussi le coup d'oeil.Le scénario traite de deux sujets,les conséquences de la guerre sur la population russe et sa représentation médiatique,le tout étant vu à travers le prisme du personnage de Lopatine,un écrivain de renom mobilisé en tant que correspondant de guerre.Cantonné à Stalingrad,il bénéficie de quelques jours de permission et rentre chez lui à Tachkent.La guerre elle-même n'est quasiment pas montrée mais il y a plusieurs scènes de bombardements d'un réalisme bluffant.Lopatine,au fil de ses rencontres et de ses conversations,cristallise l'impact du conflit sur ses concitoyens,et principalement sur la famille russe.Maris trompés,veuves désespérées,femmes sans nouvelles de leurs conjoints,enfants livrés à eux-mêmes,Guerman dresse le portrait d'une cellule familiale éclatée et d'une société en proie à la misère et à l'angoisse,loin de l'enthousiasme guerrier clamé par les autorités.Car se dessine également l'autre versant de l'histoire,la transformation de ce drame en geste héroïque par la Russie d'en haut.Cinéastes et théâtreux font appel à Lopatine pour qu'il leur décrive la réalité de la guerre,mais s'empressent ensuite de la travestir au nom de la propagande d'état et du spectaculaire,car la vérité n'a rien d'attirant et la dévoiler serait propre à démoraliser le peuple et affaiblir son soutien à l'armée.Le Parti met lui aussi la main à la pâte,comme le prouve l'intervention d'un apparatchik dans une usine d'armement dont il vient galvaniser les ouvriers.Il est à noter que le héros participe également au processus en prononçant un discours lors de ce meeting.Ce qui n'est pas expliqué,c'est s'il l'a fait contraint et forcé ou s'il avait le choix.Car au fond,ce qui a été reproché à Guerman est sa critique de la propagande,alors que son propos semble plus ambigu.D'une part,la propagande a été utilisée par tous les camps et par ailleurs elle a été efficace et a contribué à la victoire finale et à la chute du nazisme.Le point d'achoppement est sans doute que,le film datant de 76,le gouvernement soviétique,qui pratiquait intensivement ce mode de communication aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays,a dû se sentir visé.Youri Nikouline est formidable dans le rôle principal,qu'il interprète avec une sobriété d'autant plus méritoire qu'à la base il était un clown,d'ailleurs célèbre en URSS.La jolie Ludmila Gourtchenko incarne le repos du guerrier avec beaucoup de charme et une grande justesse.

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le 12 nov. 2015

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