Peut-être est-ce lié aux cinq décennies qui nous séparent, mais je trouve que pour le coup Marco Bellocchio a eu la main un peu lourde dans la démonstration, indépendamment de la pertinence absolue du sujet et de sa brûlante actualité : l'agenda politique franchement sinistre de grands magnats qui dirigent leur empire médiatique de la plus vile et la plus manipulatrice des manières. À notre époque où Vincent Bolloré rachète le JDD pour y placer un Geoffroy Lejeune, où Bernard Arnault rachète l'école supérieure de journalisme de Paris histoire de former les futurs suppôts du néolibéralisme et de la post-vérité, on peut difficilement ne pas ressentir l'irrépressible modernité du discours que contient "Viol en première page".
Le problème à mes yeux tient à la dimension programmatique du film et à son écriture pour rendre compte de l'exploitation d'un fait divers, à des fins éminemment politiques, par un rédacteur en chef d'un grand quotidien de Milan. Le plus "drôle" dans l'histoire étant que deux ans après la sortie du film, un vrai journal "Il Giornale" sera créé et nourrira les desseins politiques de Berlusconi... fiction et réalité intiment mêlées. Gian Maria Volonté est très bon, tout en retenue dans ce rôle (assez proche en cynisme de celui dans "Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon"), mais son interprétation ne suffit pas à insuffler la nuance nécessaire à la dénonciation socio-politique qui est devenue, avec le temps, parfaitement (et malheureusement) évidente. La presse conservatrice et réactionnaire utilisant un fait divers sordide pour d'une part faire de la gauche un bouc émissaire (au moyen d'un coupable étudiant contestataire) et d'autre part dérouler son agenda politique : la chose est illustrée un peu platement, sans faute de goût mais sans trop de talent non plus il me semble. J'ai bien aimé le ton réaliste mais les rouages de la manipulation médiatique restent très classiques, avec quelques accents symboliques un peu maladroits (les égouts du plan final par exemple). La collusion médias / politique / police, une constante.
"La police réprime, le juge condamne, la presse dirige l'opinion. Chacun au fond fait son devoir. Ce sont les ouvriers qui ne jouent pas le jeu ! Ils ne travaillent pas assez, s'en fichent et son exigeants !"