Je devrai avoir honte, c’est le premier Visconti que je vois. Et quand j’ai terminé le film… J’étais pantois. Je n’arriverai pas à rendre le sentiment que j’avais à la fin du film. Ce film a été comme une sorte de grosse claque, j’étais un peu sonné. Je suis resté les yeux vides devant le générique de fin, je ne pensais à rien, la faute à la puissance qui se dégage de ce film. En gros, tout m’a semblé parfait, maîtrisé, des acteurs à la réalisation en passant par toute une flopée de facteurs. C’est pas ce genre de film parfait, qui se rapprocherai de la légende, mais plus ce film auquel je ne peux rien reprocher, ce film que je regarde et qui me fait ressentir des choses vivantes, ce sont des images! Mais tout y est bon, proche de la perfection.

Alors mon point de vue est subjectif, malgré cela se filme possède des qualités indéniables. Tout d’abord, la réalisation. Même si c’est un euphémisme de dire cela, sachant que le réalisateur c’est Visconti. Mais tout est une justesse époustouflante, les cadrages mettent en permanence les acteurs en valeur. Puis cette virtuosité légère permet au cadre et à l’environnement de se resserrer autour des protagonistes, de les étouffer. Comment ces êtres pleins de vie, ou sans vie, sont étouffés par ce qui les entourent. Que ce soit le vieil homme, étouffé par son savoir, où les turbulents étouffé, refermé dans leur fougue, enclavé dans ce cadre, ce décor, ce lieu qui obstrue leur liberté. Cependant aucun ne peut s’en défaire, c’est sa vie, et ce cadre quel qu’il soit fait partie de son existence et formate les lueurs de son esprit. La photographie est splendide. Le placement des personnages est minutieux dans le sens où ils sont tous soit opposés, soit rapprochés, rien est fait au hasard. La construction de l’image et son habillement reflètent la volonté de frapper dans votre inconscient "comprends ça!", "c’est comme ça". Car cette qualité d’image sert le récit, bien qu’elle puisse paraitre outrageusement banale, simple et facile, c’est bien elle qui va déterminer et donner un sens pictural au récit. Même si les scènes semblent rester fixées comme des peintures d’une vie quotidienne qui fait miroiter l’effroi, elles bougent par la vie qu’elles dégagent. Et c’est là que notre personnage principal bouge aussi. Sa vie si statique, si creuse, si inanimée, est complètement bouleversée par ce qu’il abhorre, la violence, la rudesse, le chagrin, la moquerie, la haine, et tous les sentiments. Passionné par ses livres, il ne se passionne plus de la vie. Tout ça et c’est tout*.

L’histoire, sans spoiler évidemment. Un vieil homme, loin de la vie, dans l’étude permanente et l’admiration des créations de l’homme, art et plaisir livresque, se retrouve plongé au sein d’une famille envahissante. Une femme lui force la main pour louer l’appartement qu’il possède au dessus du sien, et les ennuis commencent. Ces voisins s’incrustent, sont sans gêne, sans éducation, sans retenue, sans pudeur, sans tact… Et bousculent le vieil homme. Sa répulsion se mêle à de l’admiration, de l’intérêt. Alors j’ai lu que ce film serait une sorte de testament de Visconti. Sans doute, peut être, je ne sais pas. Cet homme qui toute sa vie a voulu étudier l’homme est outré parce qu’il a oublié comment l’homme vie, dans sa cage dorée il ne sait plus ce que l’homme est. C’est beau un homme qui reprend vie. Ma première réaction a d’être irrité, de vouloir leur en coller une, mais l’éducation, l’intelligence c’est ce vieil homme qui les tolère et les accepte, qui souffre mais se met au niveau de ses connaissances, et cela le ravit. Enfin voilà, tout tourne autour de ce vieil homme, tout gravite. Alors il n’est pas si intrusif, il n’a pas autant d’impact sur l’histoire que les perturbateurs, il subit plus, mais il est là et sans lui rien ne serai. C’est là que je dois parler des acteurs.

Burt Lancaster. Burt Lancaster. Un des films que je regardais de lui quand j’étais petit c’était Le Corsaire Rouge. Il me semble qu’il était acrobate avant de devenir acteur. Et pourtant vous le voyez là, dans ce film, le cinéma a toujours été pour lui. Sans Burt ce film n’est rien, c’est rare ce genre de films, mais ça existe, et là. Ce personnage qui subit ne peut exister qu’avec un gros charisme. Et au milieu de ce tourbillon virevoltant il est là tel un roc, collant à cause du sel qui ravage ses entrailles, balayé par les vagues il tient, son éminence le tien loin de ces âmes errantes, pourtant il est touché. L’éclat de son intelligence n’enraye pas cette machine diabolique qui lui ronge le coeur. Et qui d’autre pour ce personnage? On a dit que ce film était le testament de Visconti, pourquoi ne serait-il pas aussi celui de Lancaster? Je ne parlerai pas de cette idée testamentaire, elle court partout. Non ce qui m’intéresse là c’est Burt. Qui d’autre aurait pu jouer? Il ne dit pas grand chose il fait ACTE de présence. Il est là, et sans parler il est présent, même sans le voir, le spectateur le sens, habiter la scène. Son regard pèse sur chaque trait du visage de son interlocuteur. Son visage marqué en a vu d’autres, et tel une carapace absorbe les chocs. Burt est un géant qui par une sage bonté décide de ne pas ronger ses partenaires. Si on voulait faire une analogie. Lui le géant s’amuse, s’émeut de ces acteurs qui cherchent son attention, il en est de même pour les personnages du film. Burt Lancaster est un géant et il donne cette dimension au film, cette dimension qui fait exploser le cadre et vous sentir en vie.

Quoi de mieux que la violence pour faire exploser une multitude d’émotions? Elle explose, provoque et ensuite fait venir les autres sentiments. Elle est le déclencheur du remord, du regret, de la tristesse, de la joie, de tout ce qui tourne autour de l’affect. On pourrait même dire qu’elle provoque la passion! C’est ça ce film est un film passionné! Par ses images, ses acteurs et son histoire, un tissu de passions, un tumulte sans nom, et sans but! C’est bien là la profondeur de ce film, tout est vain, rien n’est essentiel et c’est là que c’est vivifiant, ils prennent tous un malin plaisir à se torturer pour vivre! Et le vieil homme avait oublier cela. Pourtant le fond n’était pas mauvais, il ne voulait plus souffrir, s’est réfugié dans l’étude, et voilà ces monstres qui le perturbent. Et la vie revient, il observe, les aide, tente de les comprendre, mais reste là en vieux roc qui nous observe, telle une montagne qui regarde défiler les saisons. Tout le long j’ai cru à l’explosion de la perversité des personnages, j’ai cru qu’ils cherchaient à le dépouiller. Mais non, pas du tout, ils s’en moquaient, ils étaient trop égoïstes pour faire attention au moindre détail. Et ce climat étouffant ne les poussait qu’à exploser encore plus fort.

Ce film est un très bon film, mais si je mets une note aussi élevée c’est qu’il m’a touché, donc pas la peine de trop s’étonner. C’est là le cinéma que j’aime, celui où personne ne peut être d’accord. Je comprendrai qu’on ait pu détester ce film car les personnages sont exécrables, pourtant j’ai adoré. Finalement ce cadre minimaliste, l’histoire presque terre à terre, et des sentiments primitifs permettent au spectateur d’être bouleversé, subjugué par ces turbulences. On aimerai être le vieil homme, mais ces personnages, métaphores des idées et du monde qui a évolué bouge notre origine, ce vieil homme. Quelque part nous sommes tous le vieil homme. Nous sommes soumis à l’évolution, la question est de savoir si on veut en être l’observateur? Le participant? L’instigateur? Ou le fuyard? Là se trouve le problème, et c’est là que Visconti nous piège! Nous sommes tout à la fois, chaque personnage et chaque élément se passe devant nos yeux et chacun parvient à nous bousculer et nous faire voir ce que nous voulons voir ou pas. Et malgré une possible préférence on se prend d’affection pour tous les éléments de ce film.

En définitive ce film est génial pour son sens et sa capacité à faire décamper n’importe qui. Il perturbe, ennuie, révulse, attise la haine, provoque, rend triste, fait sourire… Tout ça à la fois de façon quasi primitive et c’est pourtant ça qu’il faut en retenir, rien n’est compliqué, tout est abordable, tout se jauge, se ressens ou se calcule, tout dépend de ce que l’on est et de ce que l’on veut être. Et quand bien même on ne voudrai rien être, on serait le rien de quelqu’un d’autre. Oui, on existe toujours, qui que l’on soit.
TheDuke
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le 4 févr. 2015

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