Sous les meilleurs hospices
« J’aimerais ne pas revoir le monde » : le souhait, formulé par Viridiana, qui s’apprête à prononcer ses vœux pour une réclusion totale au couvent, est déjà en soi une forme de provocation par...
le 9 févr. 2021
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Dans l'Espagne de l'Opus Dei de 1961, le régime franquiste vit l'opportunité de montrer son ouverture d'esprit et sa volonté nouvelle de réconciliation en invitant ce vieux libertaire anticlérical de Luis Buñuel à tourner au pays et même à représenter l'Espagne au Festival de Cannes. Echec total de la stratégie ! Le film fut interdit comme « sacrilège et blasphématoire » par l'église catholique. Et les copies espagnoles saisies et détruites, ce qui en dit long sur le régime. On a du mal aujourd'hui à comprendre le pourquoi de cet anathème.
Car ce film s'attaque plus au Mal qu'à la religion. Baptisée du nom d’une sainte qui fut enfermée dans une cellule pour y vivre en recluse, Viridiana (Silvia Pinal) est vouée à peu près au même sort par son oncle (Fernando Rey), riche hidalgo qui l’a envoyée au monastère probablement pour expier ses propres fautes. Obsédé par le souvenir de sa défunte épouse qui ressemblait, selon lui, à Viridiana, l’oncle fait revenir sa nièce et lui propose de l’épouser. Elle refuse et, se sentant impure à cause de la tentative de viol de son oncle, renonce à prononcer ses vœux.
Viridiana décide alors de réaliser le bien autour d’elle et d’aider les plus démunis. Elle héberge ainsi une troupe de mendiants plus ou moins infirmes, d'aveugles plus ou moins mal-voyants, d’ ex-prostituées plus ou moins repenties et de vrai lépreux aux plaies purulentes qui sera vite expulsé manu militari par le reste du groupe. Tous semblent sortis d'une toile de Goya dernière période après l'apparition de sa surdité. D’abord d’une politesse obséquieuse, les mendiants vont profiter de l’absence de Mademoiselle pour organiser un repas qui se transforme rapidement en orgie grotesque, et finit en tentative de viol de Viridiana.
La quasi-unanimité de la critique a cru que dans Viridiana la religion était la principale cible de Buñuel. Certes on ne prête qu'aux riches et la provocation (cf le couteau en forme de crucifix) a souvent épicé les films du réalisateur. Mais je ne suis pas sûr que le plan large qui regroupe la troupe festoyant autour d'une table soit une parodie de la Cène (le dernier repas du Christ), et qu'elle ne soit pas juste un plan d'ensemble pittoresque. Et si ce rapprochement était seulement significatif de la mentalité des spectateurs de l'époque ?
J'ai vu pour ma part dans Viridiana l’œuvre d'un moraliste qui se moque de l’idéalisation de l’être humain, du déni de la réalité, de la bien-pensance naïve qui sont le lot commun de bien des croyances, de bien des idéologies laïques, et même de l’être humain en général. De nos jours Viridiana accueillerait plutôt chez elle des drogués, des délinquants ou des squatteurs. Mais surtout Buñuel souligne l'égoïsme propre à la nature humaine, présent chez les riches comme chez les pauvres, celui qui ne voit dans les meilleures actions désintéressées que des preuves de faiblesse et des occasions de profiter toujours plus.
Dynamiteur d’idées reçues plus que provocateur, pourfendeur de naïveté plus que pamphlet agressif, le film de Buñuel souffre de la confusion qui s'est installée et mérite mieux que l'intérêt passé pour un prétendu scandale. [critique écrite en 2021]
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Le Top du meilleur et du moins bon des 1001 films, 2020 année sans vaccin et Les meilleurs films de Luis Buñuel
Créée
le 21 avr. 2023
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