Entrer dans un film suppose toujours un certain temps d’adaptation. Certains provoquent le malaise, d’autres l’ennui ou une attente qui s’éternise. Visages, villages, le dernier documentaire d’Agnès Varda flanquée de son jeune complice JR, n’échappe pas à la règle, même s’il irrite de façon assez originale.
Tout semble un peu trop mignon : ce regard sur la campagne française dans laquelle on va photographier l’anonyme et l’afficher sur des façades, ces gens très émus de cette reconnaissance gigantesque, la musique de M, ce road movie très écrit dans lequelle l’artificialité des répliques en off sautent aux oreilles…
À cela s’ajoutent quelques questions sur le fond même de cette entreprise qui se présente comme poétique. Dans une société où le selfie frénétique est devenu le nouveau journal intime dénué de tout fond, l’artiste pourrait proposer autre chose que des ego placardés.
C’est là qu’intervient Varda. Dans un premier temps, le principe est basique : donner la parole aux gens, et creuser à l’improviste les problématiques qui les occupent : la vie des aïeux mineurs, la condition des femmes de dockers, ou celle des chèvres à qui l’on peut couper, ou non, les cornes.
Mais ce qui ressemble à un doc de France 3 sur la belle vie de nos campagnes ne s’arrête pas à cette première exploration : Varda, très fine, fait toujours preuve à 88 ans d’une réactivité folle et d’un sens du montage dynamique pour conduire son errance vers des enjeux plus graves : la fuite du temps, la mort, ses propres photographies, quelques fantaisies plus ou moins réussies (le coup de la lettre du facteur, bof, la virée au Louvre en réponse à Godard, sympathique, et sa coupe de cheveux toujours aussi iconique) et la mise en place d’instances qui donnent au travail de JR une nouvelle profondeur : les containers au Havre ou la photo de son modèle sur un bunker bientôt lavé par la marée montante.
L’alliance est donc particulièrement féconde. Certes, le film est très écrit, mais c’est justement là l’apport de Varda face à la fixité muette – et qu’on pouvait soupçonner vaine – des clichés. Le langage, les improvisations, les souvenirs, l’émulation dans le contact à une jeunesse fougueuse perpétuent la vie et saisissent des instants uniques, comme l’invitation d’un marginal dans son temple ou le splendide visage d’un ouvrier d’usine annonçant sa retraite le lendemain, et la qualifiant de saut dans le vide.
Autant d’élans, de dialogues et de pirouettes qui permettent à la cinéaste de poursuivre inlassablement son adieu jovial au monde.