Bien que le scénario ne soit pas vraiment exaltant à première vue, ce film réaliste fait partie des meilleurs de Kurosawa. C'est l'histoire d'un chef de service, Kanji Watanabe, qui, apprenant qu'il ne lui reste que quelques mois à vivre, va mettre toutes ses forces à faire aboutir un projet de construction de parc et deviendra aux yeux de tous une sorte de héros. Les politiques, bien sûr, récupéreront tout son travail pour se l'approprier.
Takashi Shimura est la parfaite incarnation du personnage, avec ses yeux de chien battu et ses épaules tombantes. Il restera l'incarnation de l'exploité, du "dominé" qui finit par vaincre en dépit à la fois de l'inertie de ses collègues, de l'indifférence de son fils et de sa bru à son égard, de l'irresponsabilité des politiques et des menaces des yakuzas. Le personnage féminin de la jeune employée qui démissionne, bien que secondaire, incarne la jeunesse et l'énergie. C'est elle qui provoquera le déclic en avouant qu'elle est heureuse de son nouveau travail dans une usine de jouet car là au moins, elle se sent utile aux enfants. Elle avouera aussi au bureaucrate le surnom dont il est affublé: "la Momie", surnom qui correspond parfaitement à sa résignation et à son mutisme. Honteux de lui-même et trouvant un dernier sursaut d'énergie en dépit de la souffrance et de l'affaiblissement plus rien ne pourra l'abattre, invincible dans son stoïcisme.
Un film sur la rédemption, parfaitement construit, et qui parvient à nous tenir éveillé sur un sujet anti-esthétique et bien ennuyeux à priori, à savoir la médiocrité. Ainsi la dernière partie du film qui traite des funérailles et qui paraît longue sert à mettre en évidence celle-ci au niveau des attitudes. Un des collègues de Watanabe ne cesse de répéter que son succès ne vient que du hasard; un autre prétend que c'est grâce à l'appui du chef qu'il a pu réussir, tandis qu'un autre voit dans son attitude celle d'un homme voulant pavaner devant une jeunette.
Je pensais néanmoins à la fin du film voir une prise de conscience collective de la part des anciens collègues de bureau, un sursaut général fait d'initiatives et d'altruisme. Mais le combat solitaire de Watanabe restera un acte sans lendemain et tout reprendra comme avant, dans la routine et la morosité. Un film terriblement réaliste donc, avec s'il ne faut retenir qu'une image, celle où le héros, totalement zen, se balance sous la neige en chantonnant, insensible au froid et à la douleur, juste avant de quitter ce monde.