Exit les grandes chevauchées de samouraï ou la théâtralité exacerbée de Toshiro Mifune, même si Kurosawa excelle dans des films plus intimistes, comme Barberousse ou Les salauds dorment en paix, toujours en butte avec les travers de la société. Adepte de la littérature, le cinéaste s'inspire librement du court roman de Tolstoï, La Mort d’Ivan Ilitch.
Usant de multiples gros plans dévastateurs, alternant l'intérieur à l'extérieur où, quel que soit le contexte, le vide de l'existence transpire à chaque prise, Kurosawa montre encore son talent narratif. Aucune échappatoire pour ce fonctionnaire en poste depuis plus de trente ans, chef d'un service inutile, poinçonnant des documents, les classant, sans vouloir en saisir leur importance. La notion de mortalité et la prise de conscience nécessaire à l'acceptation de sa propre mort, verront Watanabe soudain pris de sursaut. Il décidera, seul et contre l'avis d'une hiérarchie plutôt feignante, d'offrir aux enfants du quartier un parc où ils pourront jouer, jusqu'alors cantonnés dans un espace pollué et insalubre. Watanabe re-trouve finalement la voie qu'il était censé respecter, en s'occupant de ses administrés.
Kurosawa joue du décalage humoristique, malgré le ton délétère et on écoute une voix off caustique, pour une critique de l'Etat et de la triste réalité d'une lourdeur administrative. Les réactions des fonctionnaires, renvoyant les citoyens de services en services, pour revenir à la case départ, où les plaintes sont balayées avant même de s'y intéresser est déclinée par effet rebond des uns aux autres imageant parfaitement le chemin de croix des usagers, pour un exercice franchement jubilatoire.
A l'instar de la scène où un patient se fait un devoir de corriger la réponse d'un médecin faussement humaniste, expliquant par le menu à Watanabe, la réalité du cancer qui finira de le ronger. L'ensemble de ces interruptions comiques viennent adoucir la très belle séquence d'une divagation chantée de Watanabe, seul dans la nuit, et face à l'inéluctable.
Vivre n'évite pourtant pas les défauts de rythme, les longueurs saisissantes ou au contraire des scènes rapides voire abruptes, appuyant sur un regard perdu, ou un visage perplexe, alors que l'on attend impatiemment les réactions de Watanabe, de plus en plus voûté, de moins en moins audible, joué par Takashi Shimura, un tantinet grimaçant. Resté veuf pour éduquer son fils aujourd'hui marié et plutôt attaché à veiller aux économies de son père, l'homme est déjà depuis longtemps l'ombre de lui-même, simple constat d'une mort sociale dont on se rend compte que sur le tard. D'une virée nocturne sans joie et d'un Japon qui se perd dans la modernité, occidentalisé à outrance, à la rencontre salvatrice d'une démissionnaire en passant par l'incommunicabilité familiale, et l'incompétence de l'administration, Watanabe déambule tristement à l'annonce de sa maladie, retourne sur les moments marquants de sa vie comme ultime remède à son désarroi face à l'indifférence ambiante.
Les fulgurances émotionnelles saisissent et on est réceptif au portrait dramatique qui s'invite dans des sortes de tableaux vivants, toujours un peu ombres et brouillard pour souligner les affres mentales auxquelles est soumis Watanabe.
Les uns n'en oublieront pas de le délester de la paternité de son action, alors que d'autres aptes à la reconnaissance, mais tous déjà morts, finiront saouls et au verbe intarissable pour un vacarme propre au cinéma plus vivant et dynamique de Kurosawa...et reprendront tranquillement le chemin de l'immobilisme.