"Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre."
«Vivre» est déjà le 14ème long métrage du Maître, réalisé en 1954, soit 10 ans après son premier film, que de chemin parcouru depuis cette laborieuse histoire centrée sur un Judoka imbattable un peu benêt. C'est également le premier dans lequel Mifune n'apparait pas depuis que nos deux prodiges travaillent ensemble.
C'est dans une approche jamais vu encore chez Kuro que le film démarre, une voix off froide et détachée nous explique que la radio que nous visionnons est celle de notre héros atteint d'un cancer mais qu'il n'est encore au courant. Notre personnage principal se nomme Kanji Watanabe, triste bureaucrate qui vit dans un état végétatif permanent depuis la mort de sa femme il y a maintenant 20 ans. C'est en se rendant à l’hôpital pour des douleurs à l'estomac qu'il comprendra qu'il souffre d'un cancer et qu'il lui reste moins d'une année à vivre...
Démarrer une histoire avec un tel postulat, aurait pu aisément sombrer dans un pathos indigeste et larmoyant, alors comment se fait-il que le résultat final soit un conte féerique d'une telle mélancolie qui m'a profondément touché ? La recette est simple mais rare, une parfaite symbiose entre un acteur exceptionnel qui sait tout faire et un réalisateur qui le connait par cœur, qui sait comment le filmer, comment le diriger et dans quelle direction ils vont tous les deux
Watanebe est un personnage extraordinaire, mutique et pathétique de prime abord, que l'on va apprendre à connaitre, à découvrir et qui va nous émouvoir de bien des manières. Quelqu'un qui a vécu dans la souffrance bien trop longtemps, un père qui a tout sacrifié pour un enfant ingrat après le décès de sa femme et qui ne fait que la paperasse inutile dans son travail. Un homme apathique qui vivait une existence sans saveur va apprendre à l'apprécier à sa juste valeur une fois proche de la fin, et utiliser ces derniers mois pour mener à bien un projet altruiste. On assiste d'une manière subtile à la métamorphose du vilain petit canard se transformant en un magnifique cygne. Campé par un Takashi Shimura qui habite véritablement son rôle, magnifié par son réalisateur dans des plans d'une justesse, d'une précision, d'une émotion palpable qui sont beaux à en pleurer.
«Vivre» est un tableau absolument superbe peint par un Kuro au sommet de son art dans lequel chacun de ses coups de pinceaux font mouche. Comment croire en l'avenir quand on connaît la sentence finale qui se rapproche et qui nous attend tous au bout du chemin, comment donner un sens à sa vie ? Si notre réalisateur a pu ne serait-ce extérioriser certaines ses craintes à travers son personnage principal qui choisit de faire quelque chose d'important pour sa dernière représentation. Qu'il soit rassuré, 70 ans après son premier film, des gens dans le monde entier continuent de dévorer son œuvre, de partager, de rêver, de rire, de pleurer et pour tout ça nous ne vous remercierons jamais assez Mr Kurosawa.