Vivre, un mot qui résume à lui seul notre condition de mortels, ce passage sur terre qui mène inéluctablement à la mort.
Cette mort, on l'oublie, on l'occulte, mais elle est là, et nul ne décide de sa venue.
Pour Watanabe, fonctionnaire en fin de carrière qui hante de sa petite silhouette courbée et vacillante les couloirs de son administration, bureaucrate humble et appliqué qui tamponne inlassablement des formulaires sans intérêt, ce mot va soudain revêtir une résonance particulière quand il comprend qu'il ne lui reste plus que six mois à vivre.
L'homme au visage émacié que brûle un regard fiévreux, "la momie" comme on le surnomme, va donc essayer, dans un sursaut d'énergie, de tromper la mort, passant de l'hôpital lugubre et de son appartement froid et vide, aux lieux de plaisir avec un compagnon d'ivresse occasionnel .
Kurosawa, dans cette première partie intercale voix off et flash-back, où spectateur de sa propre vie, Watanabe, en sursis, revit les moments qui ont marqué son existence : jeunesse de son fils, mort de sa femme, travail sclérosant, vie figée et sans joie. Shimura, immense acteur que je découvre, dès les premiers plans nous obsède par sa présence fantomatique, petit homme effacé qui prend conscience de l'inanité de sa vie, et pourtant, si près de la quitter, comme il l'aime cette vie !
Comme il regrette sa jeunesse perdue que lui fait retrouver, l'espace de scènes bouleversantes, une collègue insouciante et fofolle mais si vivante qu'il éprouve une envie irrépressible de la gâter, de la choyer, juste pour le plaisir de voir un sourire illuminer ce jeune visage, comme si au contact de la jeune femme l'homme malade pouvait se régénérer.
Seulement voilà : l'aveu de souffrance et à plus forte raison de mort imminente, éloigne les êtres qui ont toute la vie devant eux, les rendant égoïstes voire cruels, à l'image de ce fils tant aimé qui méprise le père dont il ne veut rien savoir et qui suppute ses chances d'hériter.
Toutefois, c'est dans la deuxième partie du film que s'exprime de façon plus saisissante encore le message humaniste du cinéaste qui s'attarde sur les collègues de Watanabe, où lors du dîner mortuaire bien arrosé les langues se délient.
Gros plans sur les visages goguenards ou attristés, témoignages qui reconstituent morceau par morceau la vie de celui qui n'est plus.
Et la vérité de l'homme se fait jour, ils comprennent enfin la souffrance tue, l'irrémédiable solitude de l'homme face à lui-même, lui donnant pourtant la force morale de mener à bien, entre lenteurs administratives et mauvaise volonté affichée, le projet et l'oeuvre d'une vie : la création d'un parc pour le bien de la communauté.
Pas d'effets superflus, pas de pathos, mais un message magnifique sur le sens de la vie, poignant hommage à cette vie dont nous ne sommes que les dépositaires, transmettant le relais à ceux qui restent et vivant dans leur souvenir.