Inspiré par un documentaire de la télévision chinoise qui lui fit découvrir une petite troupe familiale d’opéra chinois vivant et se produisant aux abords de Chengdu, dans la province du Sichuan, Johnny Ma, après « Old Stone » (2016), décide d’enrôler ces acteurs-nés et de leur faire rejouer leur propre histoire, dans un long-métrage de fiction. Les frontières classiques dressées entre les différents genres cinématographiques se trouvent ainsi pulvérisées puisque, si l’ensemble du dispositif est celui du cinéma de fiction, le spectateur éprouve à plusieurs reprises le sentiment de visionner un documentaire, face au naturel des conversations - surtout en groupe - et face aux moments de spectacles ; en effet, les membres de la troupe rejouent in extenso leurs opéras, devant un public non moins réel, dont les expressions de ravissement, touchantes dans leur sincérité sans fard, sont saisies sur le vif.
Renaît ainsi sous nos yeux la confondante virtuosité exigée par un art total, qui mêle chant (mention spéciale à la voix sinueuse de la très jolie Gan Guidan, alias Dan Dan), théâtre, danse, acrobaties, musique instrumentale, effets scéniques ; sans oublier l’art des costumes (bravo aux créations d’Adam Lim, qui subjuguent et envoûtent avant même que les spectacles aient véritablement commencé). Une beauté que la caméra recueille au bord du gouffre puisque, l’opéra chinois ne faisant plus recette auprès du public jeune, il s’adresse à des yeux et des oreilles en voie de disparition. De plus, le caractère vétuste du quartier dans lequel la petite troupe a implanté son théâtre le promet tout entier à la démolition, au profit de ces immenses tours dont la ville ne cesse de se hérisser. Sur ce chapitre, le film se fait fable nostalgique sur l’urbanisation intensive et pourrait presque évoquer « Mon Oncle » (1958), de Tati, par sa déploration quant à la disparition des petits quartiers populaires. Car on se doute bien que sera vaine la belle énergie déployée par la directrice de la troupe, Zhao Xiaoli, afin de tenter de fléchir des instances inaccessibles... et à coup sûr sourdes et aveugles.
Pourtant - là réside la nouvelle audace du film - les dieux chinois paraissent s’être penchés personnellement sur le destin de ces artistes, en dépêchant à leur directrice éclairée un « gnome » mystérieux et bienveillant, qui se chargera de lui dévoiler ce qu’elle ignore encore... Quitte à abolir la frontière entre documentaire et fiction, pourquoi s’interdire une incursion du côté du fantastique ?! D’autant que Johnny Ma ne craint pas non plus de donner forme au rêve, à la vision mentale...
C’est donc véritablement un cinéma total, aussi beau que subtil, qui vient rendre hommage à un art qui en conjuguait lui-même - et avec quel bonheur ! - plusieurs autres, et cela à travers une histoire qui n’omet pas d’être éminemment humaine.