Avant ses Nouvelles de Saint-Petersbourg, récits où la folie et l'horreur ont envahi la société moderne, Nicolas Gogol a rédigé au cours des années 1830 une série d'histoires folkloriques que l'on appelle les Contes Ukrainiens. L'un de ces contes, Vij, narre les mésaventures effrayantes d'un philosophe devant réciter pendant 3 nuits les prières pour une morte qui se révèle être en réalité une sorcière.
Cette oeuvre ayant une grande renommée, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'en 1966, la société de production Mosfilm décide de l'adapter sur grand écran. C'est ainsi que pour la première fois en Union Soviétique, un film d'horreur s'apprête à voir le jour...
Ptouchko à la rescousse
Pour réaliser ce film, Mosfilm engage les jeunes cinéastes Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev. Fougueux, ceux-ci veulent bouleverser les codes de ce conte en proposant un film fort réaliste et orienté pour les adultes (en exacerbant notamment la sexualité de la sorcière). Cependant, les producteurs ne sont pas satisfaits des premières scènes tournées, celles-ci étant trop différentes de l'oeuvre originale. Ils convoquent alors en urgence le réalisateur Alexandre Ptouchko pour que celui-ci vienne en renfort sur le tournage et donne au film la direction artistique adéquate.
Ptouchko est le choix tout indiqué pour cette opération de sauvetage. Réalisateur talentueux, il est connu pour ses films sur les contes de fées (notamment le Conte du Tsar Saltan) et on n'hésite d'ailleurs pas à le surnommer le Walt Disney russe.
Dès son arrivée sur Vij, il ordonne aux deux réalisateurs de revenir à une mise en scène plus fantastique et féerique. Il reprend également la conception des scènes majeures du film, notamment les fameuses 3 nuits où, enfermé dans une église avec une sorcière, le héros est témoin d'événements surréalistes (lévitation, apparition de monstres difformes, etc...). Pour l'occasion, Ptouchko réalise lui-même les trucages visuels nécessaires et crée toute une galerie de créatures (dont le fameux Vij).
A la recherche du créateur
Projet douloureux dans sa conception, il est difficile aujourd'hui de définir quel réalisateur a tourné quelle scène. Difficile également de savoir quelles scènes du film ont été faites avant l'arrivée en urgence de Ptouchko.
Au vu de ce qui a déjà été écrit, on peut tout de même se risquer à donner à Ptouchko la paternité sur les scènes fantastique dans l'église, le cinéaste ayant tellement travaillé sur leurs éléments techniques. Les autres scènes se déroulant dans le hameau et décrivant le quotidien des fermiers pourraient être attribuées aux jeunes réalisateurs. Elles ont en effet un aspect beaucoup plus réaliste que ce soit dans les événements décrits qu'au niveau de la mise en scène bien moins vertigineuse que celle montrant la sorcière dans l'église.
D'un certaine manière, ce changement de style de réalisation entre les séquences illustre bien le sujet principal du film, à savoir l'affrontement entre le réel et le fantastique. Au final, on est donc ici face à une adaptation fidèle et de qualité de la nouvelle Gogol.