Damn, la gifle cinglante n’était pas loin. Quand Duvivier délaisse son portrait d’une vieille France à deux vitesses pour mettre en route une histoire de manipulation à la hauteur des meilleurs films noirs, Voici le temps des assassins fait forte impression, d’autant plus qu’il est marqué par l’association de deux talents : Gabin l’éternel, au magnétisme intact, Duvivier l’œil vif et son évident sens de l’image. La manière avec laquelle ce dernier dépeint la jolie Catherine et ses sombres desseins, n’aurait pu être plus efficace : pareil à ses victimes, on se laisse manipuler pendant un bon moment. Mais on se rend aussi bien vite compte de la limite du film, à savoir Daniel Delorme elle-même, en équilibre instable entre justesse et surjeu, lorsque la lumière la sort de l’ombre du monstre sacré qui lui sert de partenaire.
Il serait cependant cavalier de blâmer plus que de raison la jeune femme ; c’est en effet le personnage dans son ensemble qui pose problème. A vouloir le corser plus que de raison, Duvivier sacrifie le réalisme noir qui revêt son histoire pendant une bonne heure au profit d’un sensationnalisme morbide qui fonctionne péniblement. Le dernier acte, notamment, voit le cinéaste charger inutilement une pauvre mule qui tire la langue depuis déjà un petit moment. Depuis qu’un clignement de cils a fait voler en éclats une longue amitié, et plus que cela même, une relation père-fils : difficile, à ce moment là, de continuer à prendre pour argent comptant l’entourloupe qui se joue à l’écran.
Et c’est bien dommage, parce que Voici le temps des assassins avait tout pour trouver l’impact que lui souhaitait Duvivier. On y sent sa farouche volonté à jouer avec la moralité pour mettre en perspective amour, désir et pragmatisme, tout en construisant un polar noir bien corsé. Certaines séquences sont délicieuses, au sens propre —quand on connaît l’amour que portait Gabin pour les bons gueuletons, on se doute qu’il n’a ne s’est pas forcé pour mettre l’eau à la bouche de ses supposés clients— comme au figuré —ce riche client accompagné de très jeunes femmes qui assume complètement son mode de vie en invitant son interlocuteur à l’imiter—.
Quelle tristesse alors de constater que Duvivier pimente plus que de raison les deux garces qui portent son intrigue au point d’ôter à son plat de résistance la nuance nécessaire à sa pleine expression. A ce petit jeu, on pense aux Diaboliques de Clouzot, bien plus maîtrisé. De quoi sortir peiné de la séance, conquis par l’intention de départ et sa subtile mise en place, mais passablement attristé par son dénouement maladroit —un faux raccord grossier donne même l’impression que le final a été tourné dans la précipitation— ainsi que l’approximation de son écriture. Au sein d’un pareil exercice de style, ça ne pardonne pas.