Dans Voici le temps des assassins, il est question d'argent, de gestion de bien ; se placer ou se caser est la préoccupation ultime pour son échantillon de peuple. Après viendra probablement la paix, le bonheur (pour le quasi-vieux), ou la satisfaction (pour elle). Jean Gabin interprète un homme droit et établi, restaurateur irréprochable, paternaliste, adapté à la réalité telle qu'elle se donne ou qu'il la prend. Catherine (par Danièle Delorme), pseudo-orpheline d'une vingtaine d'années, jette son dévolu sur lui – c'est-à-dire sur ses rentes. Elle sème le trouble dans ses relations, leurre des scandales, insinue des suspicions. Puis elle console les orgueils blessés, contrôle les cœurs meurtris, jouit de sa position de douce petite chose de bonne volonté.
Le 'fils' de cœur d'André Chatelin/Gabin, Gérard (Gérard Blain), est si bien manipulé qu'il se retourne contre son tuteur. Dur mais enthousiaste, l'amoureux se trompe de colère. Le spectateur est amené à observer, vérifier, mesurer la duperie et son étendue : il voit chacun se tromper et se braquer, le brave restaurateur s'isoler. S'il fallait montrer la bêtise de l'amour c'est un peu schématique, mais concluant. Catherine ressemble beaucoup aux 'femmes fatales' des films noirs ; c'est au moins une femme poison, pourrissant les liens et les efforts sains par son attitude. En face il n'y a pas d'anti-héros ou de types partiellement négatifs ou décevants comme dans les films noirs ; ils peuvent être troubles ou bornés au plus.
Le récit a un côté Zola soap. Duvivier et son équipe font dans le réalisme social et psychologique (pas des mecs transis subitement ou pleinement abrutis), tout en restant prudents, voire superficiels si le spectacle l'exige. Ça déraille sur quelques détails : la force physique exagérée de Catherine lors de son dernier rendez-vous, ou la réplique du chien. Ces petites choses permettent de conclure l'histoire sur de graves incidents ; également d'appliquer une punition radicale sans compromettre personne (autrement dit, les 'bons' ou les 'moins mauvais' réagissent sans se sacrifier moralement). La photo est exquise, les nostalgiques (imaginaires) seront comblés par toutes ces cartes postales animées. Là encore il y aura une faute : ce passage en voiture, remarquable exemple du grotesque de ce type de scènes très prisées dans les années 1950 (le seul bruit est celui du moteur, la superposition est criarde).
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