D’un côté le déplacement absurde, dans une temporalité indécise, des personnages aux noms mythologiques, un immense causse sans fin. De l’autre un statisme poétique et politique, des histoires d’amour entre hommes, une gigantesque machine aux vertus secrètes. En effet, Voici venu le temps peut se recevoir comme le mélange maitrisé de Ce vieux rêve qui bouge et Du soleil pour les gueux. Deux films que j’aime tellement, courts qui plus est, qu’il m’est difficile de ne pas voir ici une redite, belle c’est vrai, mais in fine assez peu surprenante d’autant que le verbe y est bien plus sophistiqué qu’à l’accoutumé, ôtant au cinéma guiraudien un peu de sa liberté dans son obsession de l’errance en silence qui aurait ici pu nous perdre dans ses forêts.
On navigue entre le western, l’uchronie, le mélo sentimental, la chronique politique et le film de cape et d’épée. Voici venu le temps se déroule sur les plaines de l’Aveyron, rebaptisées pour l’occasion Obitanie, dotée de deux provinces que sont Emborque et Catalie, abritant notamment les villages de Fontaine-Rose, Brise-Roches ou Urbicate. Tout est inventé par Guiraudie. C’est Du soleil pour les gueux qui avait montré cette belle voie. Un western avec des bandits, des propriétaires terriens, des bergers et des chasseurs de prime – Ces derniers sont les guerriers d’attente (cachés dans les arbres) ou de recherche (toujours en mouvement). Ceux de Guiraudie, cela va de soi : Saphir du Matin, Gaston Lumière ou Manjas Kebir, entre autre. Il y a le bétail des bergers, les ounayes ; Une autre monnaie, le kroban.
Au-delà de ce vocabulaire unique et foisonnant, de certaines de ses trouvailles fantastiques (On téléphone en se branchant à l’écorce d’un arbre) et de l’histoire de ce personnage, la quarantaine, en pleine crise existentielle (Alter ego de Guiraudie, c’est évident) il faut dire combien plastiquement, le film est superbe, baigné dans une lumière discrète, extirpée de la nuit, comme l’est Fogo dans la scène d’ouverture – Il entre dans le bas du cadre, par la terre. Une approche « Nuit américaine » qui magnifie forcément la dimension érotique inhérente au cinéma de Guiraudie.