Love, Climax, Vortex. Gaspar Noé a de nouveau choisi un titre mystérieux pour son dernier long-métrage. Derrière ce titre d’un seul mot, il n’est pas question d’une dramatique romance d’adolescents ou de la répétition d’une chorégraphie infernale, mais du thème de la dégénérescence du corps humain et notamment du cerveau. Si nous connaissons avant tout Gaspar Noé pour ses scènes chocs tentant de repousser les limites de l’horreur au cinéma, et nous repensons tous aux fameuses scènes d’Irréversible, le réalisateur franco-argentin nous propose d’explorer l’un des ravages de la vieillesse : la maladie d’Alzheimer. Nous pourrions nous interroger sur les raisons de ce changement radical de thème pour un réalisateur habitué à la surenchère dans l’horreur et le gore. Il est fort possible que l’hémorragie cérébrale dont il a été victime en 2019 ait influencé son choix de traiter du thème de la perte des facultés cognitives. D’ailleurs, Noé dédicace ces 2 h 22 de film « À tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le cœur », triste message semblant indiquer la peur du réalisateur.
Vortex n’est donc pas ce long-métrage repoussant les limites de ce qu’il est possible de montrer, mais il s’agit bien de montrer ce qui est difficilement montrable : le processus de la mort cérébrale, et dans une moindre mesure de la mort subite cardiaque, chez l’humain. Pour ce faire, Gaspar Noé s’est entouré de trois grands artistes. Nous avons Dario Argento jouant un rôle étrangement similaire à ce qu’il est dans la vie c’est-à-dire celui d’un cinéphile, théoricien et historien du cinéma. Puis, Françoise Lebrun que nous avons connue pour son rôle de Weronika dans La maman et la putain de Jean Eustache (dont Gaspar Noé admire le travail) et ayant pour rôle celui d’une psychanalyste à la retraite atteinte de la maladie d’Alzheimer, et enfin l’inarrêtable Alex Lutz jouant le rôle du fils, témoin de la destruction de ses parents et devant faire face à ses anciens démons.
Tel un lent tourbillon, le temps dans Vortex s’écoule doucement. Nous suivons la vie d’un couple âgé vivant dans un appartement labyrinthique du Xe arrondissement de Paris, un véritable capharnaüm où livres sur le cinéma et souvenirs constituent la majeure partie de la décoration. Le film s’ouvre par un sympathique déjeuner sur un balcon. Le vieux couple vit des jours heureux. Mais la deuxième scène nous annonce déjà le drame. L’écran se scinde en deux, Gaspar Noé choisit un split screen pour filmer les moindres faits et gestes de nos deux protagonistes, deux caméras sont alors utilisées.
Il est 9 h et le couple se réveille, mais nous sentons déjà que cette journée est l’une des dernières. Non pas uniquement, car le radio-réveil s’est allumé et qu’une émission parlant de l’importance des rites funéraires deviendra le fond sonore durant plusieurs dizaines de minutes, ni même, car la femme semble dérangée au point d’oublier de fermer la porte, mais, car l’atmosphère semble particulière, une certaine lassitude de la vie se dégage. Peu à peu, nos repères sensoriels semblent se brouiller. Alors que l’homme travaille sur son manuscrit, nous nous perdons avec la femme. Nous nous perdons dans des magasins aux rangements chaotiques, nos repères spatiaux sont perturbés. Le temps défile, le radio-réveil continue d’indiquer l’heure. L’homme se doutant de quelque chose décide d’aller chercher sa femme, le drame peut commencer.
Si l’homme joué par Dario Argento cite Edgar Allan Poe « Tout ce que nous voyons ou croyons, n’est qu’un rêve dans un rêve » alors cette vie tourne au cauchemar. La maladie d’Alzheimer accompli son œuvre, la femme oublie d’éteindre le gaz, mélange ses médicaments, détruit les recherches de son mari.
De son côté, il commence à souffrir de son cœur alors qu’il avait subi un AVC quelques années auparavant. Le fils aussi n’est pas épargné, lui qui tente d’aider ses parents n’arrive pas à s’extirper de son addiction à l’héroïne ; son ex-femme en a d’ailleurs fait les frais. Son fils, Kiki, en subira les conséquences.
Gaspar Noé nous offre une lente et douloureuse plongée dans le dramatique rêve de la vie. Mais tout comme Allan Gray se faisant enterrer vivant dans Vampyr de Carl Theodor Dreyer et dont Dario Argento en est le spectateur, nous ne savons pas si nous sommes en face d’un rêve macabre. Le début du drame démarre en effet au réveil des deux protagonistes ; le doute est alors permis.
Dans Vortex, le rêve, l’hypnose, la psyché ou encore la folie sont des thèmes qui ne doivent pas être occultés. Le bureau d’Argento est d’ailleurs couvert d’affiches de films de Fritz Lang dont notamment la trilogie des Docteur Mabuse ou encore Métropolis. Dans le salon, plusieurs images du classique de Wiene, Le Cabinet du docteur Caligari, sont visibles. Ce clin d’oeil aux maîtres de l’expressionnisme allemand n’est sans aucun doute pas anodin.
Plus qu’un drame familial horrifique, Gaspar Noé nous propose une réflexion sur l’humain, sa dégénérescence, mais aussi sur le cinéma et sa capacité à projeter du rêve dans un rêve.