Kathleen Kelly et Joe Fox ont depuis quelques temps pris l'habitude de correspondre sur internet,où ils sont entrés en contact via un groupe de parole.Leurs échanges restent totalement virtuels,ils ne se sont jamais rencontrés physiquement et ils ne donnent aucun détail personnel concret,de sorte qu'ils ne connaissent ni le nom de l'autre,ni son adresse ni sa situation professionnelle exacte.Mais leurs communications leur sont si agréables qu'une sorte d'idylle à l'aveugle nait entre eux et qu'ils ne peuvent plus se passer de ces messages qu'ils s'envoient.Sauf qu'à leur insu ils se connaissent très bien dans la vraie vie......où ils ne peuvent pas se pifer!Et pour cause,Joe étant un affairiste sans pitié qui va ouvrir un supermarché du livre à deux pas de la petite librairie familiale de Kathleen,ce qui va à coup sûr provoquer la faillite du commerce de la jeune femme.Ce film est un remake de "The shop around the corner",classique de la romcom sorti en 1940 ,signé Lubitsch et tiré d'une pièce de théâtre de Miklos Laszlo.C'est évidemment très modernisé car les ordinateurs et internet n'existaient pas à l'époque,les protagonistes de l'original,situé à Budapest,travaillant ensemble dans une maroquinerie et correspondant par courrier.Nora Ephron,décédée en 2012,réalise cette nouvelle version dont elle est également coscénariste avec sa soeur Delia et coproductrice avec Lauren Shuler Donner,l'épouse de Richard Donner.La cinéaste faisait autorité en matière de comédie romantique,ayant au préalable été scénariste de "Quand Harry rencontre Sally" de Rob Reiner en 89 et réalisatrice-scénariste de "Nuits blanches à Seattle" en 92,deux gros cartons du genre.Elle réutilise d'ailleurs ici son couple de vedettes de "Nuits blanches" formé de Tom Hanks et Meg Ryan.Au début on craint le pire tant c'est laborieux.Un décor new-yorkais trop vu au ciné,cette image pastellisée dégueulasse propre aux nineties,une mise en scène sans grâce,le jeu maniéré d'une Meg qui grimace et minaude atrocement et des gens qui n'arrêtent pas de se croiser par hasard dans ce village que serait Big Apple,on peut dire que ça s'annonce mal.Mais,miracle de l'amour,ça va progressivement s'arranger à mesure que l'histoire se développe.Une ambiance charmante et émouvante,pleine de fantaisie et de poésie,s'impose tandis que les personnages,même secondaires,gagnent en épaisseur et en profondeur,animant une histoire certes fort improbable mais si sympathique qu'on a envie d'y croire.Kathleen et Joe se détestent,s'affrontent,se tournent autour,avant que leurs relations ne deviennent plus apaisées,puis franchement cordiales.On sait bien comment ça va finir mais on ne demande que ça,d'autant que l'évolution des personnages est efficace,l'homme se délestant petit à petit de son armure cynique et la fille tentant de cacher sa gentillesse et sa vulnérabilité derrière une agressivité de façade.De plus les dés sont pipés car au bout d'un moment Fox découvre l'identité de sa mystérieuse correspondante mais se garde bien de lui divulguer la sienne,que Kathleen ignorera jusqu'à la scène finale,ce qui crée un délicieux décalage comportemental entre les deux héros.D'autre part le film,porté par une bonne partition musicale et d'excellentes chansons,restitue à merveille les codes de ce 20e Siècle finissant marqué par l'avènement des nouvelles technologies,les joyeusetés des familles recomposées,il faut voir Joe aux prises avec sa tante de dix ans, son frère de sept ans et sa belle-mère qui le chauffe dès qu'elle le croise,mais surtout la fin du petit commerce convivial ratiboisé par le rouleau-compresseur des grandes surfaces capitalistes sans âme mais inévitables car beaucoup plus économiques.Il n'y aura à ce sujet pas de happy-end,contrairement à ce qu'on pouvait croire,et c'est un bon point qui renforce le réalisme d'une oeuvre aux dialogues généralement drôles et brillants.Meg Ryan,actrice surcotée en ce temps-là et qui a quasiment disparu des écrans aujourd'hui,préférant se tourner vers la réalisation,manque de sobriété mais Tom Hanks offre une de ses meilleures prestations en businessman sans états d'âmes déstabilisé par le vertige de l'amour et tire le film vers le haut.Les autres comédiens jouent parfaitement leurs partitions,limitées chronométriquement mais indispensables au bon fonctionnement du récit.Greg Kinnear et Parker Posey interprètent brillamment les conjoints,bientôt ex,de Kathleen et Joe,lui en journaliste imbu de lui-même,elle en éditrice complètement speedée.Les employés de la librairie sont incarnés par les truculents Jean Stapleton,la vieille secrétaire comptable au franc-parler dévastateur,Steve Zahn,sobre à l'époque,en vendeur à l'ouest,et Heather Burns en vendeuse curieuse.Côté Fox il y a l'humoriste noir décapant Dave Chappelle,peu connu par chez nous mais célèbre Outre-Atlantique,en adjoint fidèle de Joe,alors que Dabney Coleman et John Randolph sont les très verts père et grand-père Fox.Cara Seymour est très bien en belle-mère saute-au-paf et les enfants sont trop marrants,qu'il s'agisse de Jeffrey Scaperrotta ou surtout de l'incroyable Hallee Hirsh.Note et critique de film de Nora Ephron publiée précédemment:"Julie et Julia"-2.Moyenne:4,5.