Moins réputé ou connu que « L’extravagant Mr. Deeds » « Arsenic et vieilles dentelles » ou « Horizons perdus » pour n’en citer que trois, « Vous ne l’emporterez pas avec vous » est mon Capra préféré.

Ce film est une pure comédie qui ne se contente pas de nous amuser avec sa belle histoire d’amour. Capra aborde également de manière subtile tous les thèmes qui lui sont chers : la recherche du bonheur, l’avenir de l’humanité, les relations humaines et la folie apportée par le pouvoir et l’argent. Le côté idéaliste qui lui est parfois reproché ne s’accompagne pas ici d’une trop grande naïveté.

Anthony P. Kirby (Edward Arnold) est un puissant homme d’affaires qui a décidé d’acheter tout un quartier de New York pour y construire une usine. Il vient de placer son fils Tony (James Stewart) comme vice-président de son groupe, fonction toute honorifique qui laisse tout le temps à Tony pour faire le joli cœur auprès de sa secrétaire, Alice Sycamore (Jean Arthur) qui est sous le charme. Il se trouve qu’Alice est la fille du dernier propriétaire, Martin Vanderhof (Lionel Barrymore) refusant de vendre son lopin de terre à Kirby.

Cette résistance inattendue, Kirby pense qu’elle s’effondrera devant les sommes qu’il est disposé à proposer. Résistance, voilà le maître mot de ce film, car le message de Capra est clair : pour être heureux, il faut encore et toujours, résister à tout ce qui nous empêche de nous épanouir. Résister à la toute puissance de l’argent, résister au travail aliénant, résister aux pressions familiales, tout en courant après nos propres rêves sans jamais céder devant la bêtise humaine.

Capra montre tout cela avec intelligence et beaucoup d’humour. Son scénario est progressif et jamais ennuyeux. On a droit à l’ambiance de travail chez Kirby avec l’arrivée de Vanderhof. Contraint à patienter, Vanderhof fait la connaissance du caissier Poppins qui se fait un plaisir de lui montrer ce qu’il fabrique à ses heures perdues. Poppins est un petit monsieur chauve mais ultra-sensible qui avoue s’ennuyer à son travail. En deux temps trois mouvements, il est conquis par Vanderhof qui l’assure qu’avec lui, il peut devenir le « lis des vallées » !

Voilà Poppins dans cette maison que Vanderhof refuse décidément de vendre. Ici, trois générations se côtoient dans un délire permanent où chacun vit selon ses réelles aspirations, en toute fantaisie. Un vrai feu d’artifice, au propre comme au figuré, car on fait des essais de fusées tout en dansant sur une danse hongroise de Brahms jouée au xylophone, alors que la mère écrit des histoires parce que, des années auparavant, on a livré par erreur une machine à écrire.

Rapidement, Alice annonce qu’elle va sortir avec Tony qui doit venir la chercher. Branle-bas de combat et quiproquos. Kirby refuse que son fils épouse une petite secrétaire, de surcroit la fille de celui qui refuse de lui vendre la maison qu’il convoite. Les parents Kirby vont néanmoins accepter une invitation…

Chaque nouvelle situation est l’occasion de nouveaux gags, car le film est nourri d’innombrables détails qui méritent l’attention. Exemple, Alice et Tony se promènent dans un parc. Des gamins viennent leur proposer de leur montrer une danse. Sur un petit carton, cette danse est intitulée « Big apple ». Comme Tony discute le prix, le garçon retourne le carton sur lequel on lit « Nuts » (pas question) ! Plus tard, Alice et Tony arrivent en retard à une réception où Tony veut présenter Alice à sa famille… Alice porte le carton accroché dans son dos. Elle ne comprend pas pourquoi tout le monde rit et la regarde bizarrement : soit elle est la pomme à croquer pour Tony, soit elle envoie tout le monde balader alors qu’elle cherche à se faire accepter dans un milieu supérieur à son milieu d’origine…

Là où Capra reste critiquable, c’est dans sa façon d’appréhender le monde réel. En effet, il dénigre le capitalisme aveugle qui en veut toujours plus, au mépris de l’aspect humain et de la limitation des ressources naturelles. Ainsi Vanderhoff ne paye pas d’impôt. On peut penser que c’est en rapport avec les revenus réels de la famille qui semble vivre d’amour et d’eau fraiche. D’autre part, Vanderhoff propose à Poppins de s’intégrer à cet univers. A son arrivée Poppins réalise qu’il n’est pas le premier à avoir effectué cette démarche. Au train où vont les choses, les effectifs risquent de grimper. Jusqu’à quand cela sera-t-il contrôlable ?

Ce film de 1938 est bien daté dans son discours (exemple : à cette époque, les Etats-Unis comptaient 48 états) et dans sa forme (noir et blanc au format 4/3), mais il est bien rythmé, avec de nombreux rebondissements. Sa longueur (2h01) est justifiée par tous les éléments et thèmes qui le nourrissent. On ne s’ennuie jamais. Quant aux interprètes, ils sont tous impeccables. James Stewart a rarement été aussi sûr de lui (alors qu’il est souvent un peu gauche, avec son physique de grand dadais), Jean Arthur est charmante toute en simplicité, sincérité, fantaise et dynamisme. Quant à Edward Arnold, il passe du banquier tonitruant(d) au père attendri, sourire épanoui.
Electron
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le 6 mai 2013

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