Film de guerre sans en être un, Voyage au bout de l'enfer est avant tout une analyse des conséquences psychologiques de la guerre (ici celle du Vietnam en particulier), son impact sur les hommes et les changements qu'elle apporte dans la vie, non seulement des vétérans, mais aussi de leurs proches.

Mais là où le film de Michael Cimino fait fort, c'est qu'il propose aussi de dresser le portrait psychologique des personnages avant le départ, et de montrer déjà le germe de leur folie. Michael, le personnage campé par De Niro, est qualifié de fou par ses amis avant son départ ; il a déjà cette lueur inquétante dans les yeux, un côté taciturne qui laisse présager des basculements dans la violence. Il en est de même pour Stan (qui lui ne partira pas), toujours armé, parfois violent avec une femme jouant de lui ; on perçoit que le réalisateur désire nous montrer le terreau de folie et de violence présent dans les coeurs des hommes, et auquels ne manque plus que la guerre, une occasion de laisser libre cours à cette violence.
C'est bien entendu à travers "Micky" que l'on observe ce déchainement, à coup de lance-flammes d'abord, puis surtout au travers de la roulette russe imposée aux prisonniers par les vietnamiens. Un "jeu" qui symbolise la folie, une épreuve dans laquelle l'être humain met en péril sa vie, son statut d'être vivant, joue son destin, et ce pour le sadisme (les geôliers), l'argent (les parieurs) ou l'adrénaline (les particpants).
L'adrénaline devient la drogue de Nick, le comparse, qui semblait l'un des plus équilibrés pourtant au départ, mais qui se retrouve piégé dans cet engrenage et reste au pays pour cela. On comprend qu'au fond il ne pourra plus se sortir de cet engrenage de vie et de mort, à l'instar d'un drogué et de l'héroïne, on conçoit que ce "shoot" d'adrénaline, ce trop plein de sensations (peur, anxiété, désespoir, excitation, soulagement, choc, dégoût) est une dose trop puissante pour que l'on en sorte indemne ; elle doit laisser un vide immense qui ne demande qu'à être comblé à nouveau. Poussé de force dans ce tragique mécanisme, Nick n'en pourra plus sortir.

Les deux autres compères sont revenus, mais l'un est mutilé et ne peut plus affronter sa femme et partager comme avant sa vie avec elle, l'autre est désorienté, a du mal à imaginer retrouver une vie similaire. Il n'a plus goût à tuer un cerf, il ne peut plus rire comme avant, il est hanté par le destin de Nick, culpabilise pour le sort de Steven.
Avec tact mais sans rien omettre, le réalisateur filme les changements dans la vie de ces hommes et des ces femmes, la révélation de leur caractère ; la guerre a dévoilé certains aspects de leur personnalité, en a exacerbé d'autres, en a éteint enfin.
Malgré des longueurs (dans la deuxième partie notamment), malgré une version française médiocre, Voyage au bout de l'enfer est un constat brillant sur l'évolution de l'homme à travers un déclencheur brutal et corrosif, rongeant l'âme de ses embonpoints superficiels pour ne laisser que l'essentiel. Chef d'oeuvre quand il représente un mariage inoubliable, beau quand il met en scène une ville du Vietnam en proie au chaos et aux flammes, reflétant le désordre, l'apocalypse d'un pays catalyseur de la violence humaine.

Ou quand le changement trouve son déclencheur, après s'être abreuvé à la source de l'âme : plus rien ne sera jamais comme avant.
ngc111
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le 19 juil. 2012

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