Aiguillé par la place de choix que Bertrand Tavernier lui accorde dans son pavé Amis Américains, Tay Garnett s'immisce dans ma cinéphilie par l'entremise de cette romance aux accents comiques qui aurait très bien pu constituer le terreau idéal d'un mélodrame sirupeux et éreintant s'il n'avait pas éclos dans un cadre particulier : le Forbidden Hollywood, l'ère du Pré-Code. Quelques années avant que la censure du code Hays n'entre en scène en 1934, One Way Passage est un régal de comédie raffiné typique de ces années-là, le début de la décennie 1930. Un navire de croisière, une poignée de personnages aux destins mêlés, des flirts croisés, une série de bons mots, et la chose est lancée.
Tout le film est basé sur une contrainte sous-jacente, la cohabitation forcée entre plusieurs personnes, qui génèrera autant de rapprochements bienvenus pour les uns et redoutés pour les autres. Une histoire d'amour issue d'un coup de foudre dans un bar de Hong Kong se poursuit à bord d'un paquebot, pour le voyage retour en direction de San Francisco. Mais une histoire d'amour également pétrie de non-dits, de mensonges, de secrets : on apprendra rapidement que elle, Joan (Kay Francis), est condamnée par une maladie incurable qui lui ôtera bientôt la vie, et que lui, Dan (William Powell), est un condamné à mort qui retourne sur le continent nord-américain pour terminer sur une chaise électrique.
Mais jamais Voyage sans retour ne se fait lourd sur cette composante dramatique, bien au contraire : ce n'est qu'une configuration pour créer une certaine entrave dans leur relation, qui trouvera certes pour point de chute une séparation faussement optimiste (magnifique final où chacun a appris la condition de l'autre sans que l'autre ne le sache, et feignant des retrouvailles qui n'auront tristement jamais lieu) mais qui constituera un carburant permanent aux enjeux. Car autour d'eux rôdent différents personnages secondaires gratinés, avec notamment une fausse comtesse, le sergent (Warren Hymer, la tête idéale de l'emploi) en charge de l'arrestation de Dan qui tombera sous le charme de cette dernière, et un blagueur potache bourré tout du long dont la fonction sera essentiellement d'introduire un peu de chaos dans tout cela. Ce microcosme apporte la touche de légèreté bienvenue, avec des états d'âme surprenants (le flic se montrera magnanime avec les malfrats) et typiques du Pré-Code.
Quelques épisodes exotiques (dont une escale à Hawaï, sur les plages de Honolulu, ouvrant de nombreuses possibilités), une traversée en bateau qui scellera l'intégralité d'une histoire d'amour, de son commencement à son dernier souffle, sans qu'aucune des deux parties ne connaisse le sort de son amant, et une conclusion sous la forme d'un rendez-vous manqué au parfum tragique et délicat. Bonne pioche.
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