Belle idée que d’avoir emprunté le titre du film de Roberto Rossellini en le transposant au pluriel, comme si cette histoire d’un couple ordinaire plongé dans l’extraordinaire était celle de tous ces couples anonymes qu’on voit dans le très beau générique d’introduction. Qui plus est, Rossellini n’est pas qu’artificiellement dans le titre. Il est aussi dans les lieux puisqu’on y évoque aussi bien les ruines de Pompéi que le volcan de Stromboli. Il est également dans le mélange formel imposé par Sophie Letourneur qui semble dire que son inspiration multi-facette vient d’abord du néo-réalisme. Et enfin, il apparaît dans un dialogue, le temps d’une scène en bagnole : une discussion de couple, comme mille autre, mais savoureuse (car entre Philippe Katerine & Sophie Letourneur) et qui évoque cette fois les films de Rossellini qu’il tournait avec Ingrid Bergman. Pourtant, de Rossellini, Voyages en Italie en est moins proche que d’un Luc Moullet, en grande partie celui d’Anatomie d’un rapport. La réalisatrice de La vie au ranch expérimente encore.


Ce titre au pluriel symbolise aussi le projet du film : le réel et sa fabrication. Il y a le voyage (celui que Sophie Letourneur semble avoir fait avec son vrai compagnon, à qui elle dédie Voyages en Italie) et il y a la reconstitution de ce voyage pour en faire un film, au sein duquel les personnages le fabrique aussi. En d’autres mots, il y a le voyage et les souvenirs, variés, infinis, qu’on en a et qu’on restitue, en les racontant, en les filmant. C’est assez vertigineux. Je ne crois pas avoir déjà vu cela dans un film.


Par ailleurs, quand Voyages en Italie est sur le point d’accuser le coup, d’atteindre ses propres limites de néo-naturalisme mollasson et crado (l’image est vraiment ingrate, zooms variés compris), il dévoile son véritable dispositif : il s’agit moins du film de vacances d’un couple que de la fabrication (ou plutôt de l’élaboration de son écriture, sous la couette) de ce film dans un dialogue de souvenir partagé. Ils se racontent leur voyage. Dans le but d’en faire un film, probablement celui qu’on voit. Ils se racontent ce voyage en enregistrant leurs discussions sur un dictaphone, soit exactement le processus de création de Sophie Letourneur depuis ses premiers courts métrages. Ca m’a beaucoup plu d’être ému par un dispositif pourtant si théorique, sur le papier, sans doute car le ton du film est d’une légèreté salvatrice.


L’idée assez inédite ici serait de cartographier le moment où le couple n’est pas vraiment dans le romanesque, la dramaturgie. Ils essaient juste de raviver une flamme. Lui pense qu’il faut se contenter de travailler sur la quotidienneté, l’ordinaire. Elle plutôt sur la vacance, l’extraordinaire. Et c’est tout.


Par ailleurs ce voyage en Italie ne débouche sur rien de tangible : est-ce qu’ils s’aiment davantage, est-ce qu’ils s’aiment moins ? Vont-ils rester ensemble ou se séparer ? La flamme est-elle ravivée ou en passe de s’éteindre ? Le film ne répond jamais à cela. En revanche il répond à une chose, concrète, émouvante : ils sont ensemble, ils s’aiment, ils partagent des choses. Rien n’est blanc ou noir. Tout est fragile. Il y a de la vie. Ils ont des problèmes dans leur couple mais on ne saura jamais vraiment quoi, si ce n’est que ce sont des problèmes de quotidien, et de désir de l’autre, sans doute. C’est déjà un peu inédit comme couple de cinéma. Même quand ils baisent, car un moment donné ils baisent – malgré l’apparente déflation sexuelle qui règne dans leur couple – ce n’est jamais une baise de réconciliation, ni une baise qui ravive volontiers quelque chose. C’est une baise ordinaire dans l’extraordinaire. Et le lendemain rien n’a vraiment changé. C’est le même couple avant et après avoir fait l’amour. Mais ils sont ensemble et restent ensemble.


C’est sûr qu’on sort des canons de la romcom ou de la comédie de remariage traditionnelle. Mais j’aime l’idée humble, lumineuse que Letourneur a de dire qu’être à deux c’est à la fois beau et chiant, mais que c’est mieux d’être à deux. Évidemment chacun jugera de sa préférence mais il me semble qu’elle est très honnête avec cette interrogation.


Il faut donc saisir les moments où le film nous montre qu’ils s’aiment. Et c’est pas si évident. Ce n’est en tout cas pas placardé. Mais il y a des moments, notamment celui-ci, le plus beau : Une façon de se passer les lunettes de soleil entre deux tunnels, sur un tube de Jakie Quartz, avec ce magnifique « je t’aime » muet quand il apparaît dans la chanson. Il y a plein d’autres moments, qui encore une fois sont à saisir dans la quotidienneté, au détour d’un regard où d’une parole.


Par ailleurs, si on adore Philippe Katerine, c’est magnifique. Un beau cadeau tant on ne l’a jamais vu si beau, si fragile, si touchant. Si on ne l’aime pas, Voyages en Italie est un bon moyen de l’adorer. Vraiment, j’insiste.

JanosValuska
8
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le 7 juil. 2023

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JanosValuska

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